Apollon et Daphné Le Bernin
Apollon et Daphné
Copie romaine d’un original grec du IVe siècle av. J.-C. attribué à Léocharès
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Comment représenter la métamorphose en sculpture ?
En quoi ce groupe est-il un magnifique exemple de l’esthétique baroque ?
Apollon et Daphné image principale est un groupe à sujet mythologique commandé au Bernin par le cardinal Scipion Borghèse image 1, neveu du pape Paul V et grand mécène. Il souhaite rassembler dans sa villa du Pincio (Rome) image 2, lieu de délectation et véritable musée privé, une collection de sculptures modernes à même de rivaliser avec les chefs-d'œuvre de l'Antiquité et de la Renaissance, y compris ceux de Michel-Ange. Il permet ainsi au jeune sculpteur, âgé de vingt-quatre ans au moment de la commande, de montrer son extraordinaire virtuosité dans le travail du marbre, et son inventivité pour traiter du sujet de la métamorphose, un défi sans précédent en sculpture.
Une vengeance de l'Amour : une passion non partagée
Dans ses Métamorphoses, Ovide raconte le mythe d'Apollon et Daphné, ou comment le dieu de l'amour s'est vengé du puissant Apollon qui s'était moqué de lui. Pour le punir de son orgueil, l'Amour décoche au dieu une flèche dorée qui le fait tomber éperdument amoureux de la nymphe Daphné. Celle-ci reçoit au contraire une flèche en plomb, qui lui inspire la plus grande répulsion envers Apollon. Refusant les avances de ce dernier, elle s'enfuit. Au moment où il la rattrape et croit la posséder, Daphné appelle à l'aide son père, le dieu-fleuve Pénée, qui la transforme en laurier : « À peine a-t-elle achevé sa prière qu'une lourde torpeur s'empare de ses membres une mince écorce entoure son sein délicat ses cheveux qui s'allongent se changent en feuillage ses bras, en rameaux ses pieds, tout à l'heure si agiles, adhèrent au sol par des racines incapables de se mouvoir la cime d'un arbre couronne sa tête de ses charmes il ne reste plus que l'éclat. » Apollon, dépité, choisit alors comme attribut le laurier, daphné en grec.
Une éblouissante virtuosité technique au service d'une audace baroque
Le Bernin se montre très fidèle au texte d'Ovide et représente le moment le plus dramatique de l'histoire, la métamorphose de Daphné. Pour la figure du dieu, il s'inspire d'une des plus célèbres statues antiques, l'Apollon du Belvédère image 3, dont il reprend la coiffure image b et l'attitude, mais en l'animant d'un mouvement plus rapide : le dieu est saisi en pleine course, en équilibre sur sa jambe droite, sa draperie flottant au vent. Incrédule, il met la main gauche sur le corps de Daphné, un geste qui rappelle le texte d'Ovide : « Phébus [Apollon] cependant l'aime toujours sa main posée sur le tronc, il sent encore le cœur palpiter sous l'écorce nouvelle. »
La composition, très dynamique, forme une ligne oblique qui commence par la jambe gauche levée du dieu, se prolonge par le corps nu de Daphné et se termine par ses bras levés au ciel. Les pieds de la jeune fille prennent racine, l'écorce monte le long de ses jambes et les emprisonne, soulignant son immobilité nouvelle. Ses bras et ses cheveux se terminent désormais en rameaux couverts de feuillage. Sa bouche image c, grande ouverte, exprime la frayeur. Le Bernin veut mettre en scène sa sculpture, qui se trouvait à l'origine contre un mur et non au centre de la pièce comme aujourd'hui : le visiteur apercevait en premier Apollon de dos, puis découvrait Daphné en se déplaçant sur le côté droit du groupe, celui qui met en valeur le déroulement de l'action. L'effet de surprise jouait ainsi pleinement.
Trois ans sont nécessaires à la réalisation de la sculpture, un long délai qui s'explique par la complexité de l'œuvre et la minutie du travail effectué. Mais, à peine exposée, elle suscite une admiration unanime et elle est considérée comme un chef-d'œuvre, grâce à sa composition si inventive et au rendu subtil des différentes textures : les corps lisses et très polis contrastent avec les plis profondément creusés et mats du manteau d'Apollon et avec l'écorce rugueuse qui couvre les jambes de Daphné, dont les doigts et les longs cheveux ondulés se terminent en feuilles de laurier mates, aux nervures bien visibles image c. À l'époque, on admire particulièrement la capacité de l'art à imiter la nature. Ce dynamisme, cette mise en scène dramatique, ce traitement du marbre sont caractéristiques de l'esthétique baroque.
Un mythe païen transformé en allégorie moralisante
Un poème en latin du cardinal Maffeo Barberini, protecteur du Bernin, est gravé sur le socle de la sculpture : « Tel qui court après les plaisirs fugaces s'emplit les mains de feuilles mortes ou cueille des fruits amers. » En effet, il faut justifier la présence dans la villa d'un cardinal d'un groupe mythologique mettant en scène des personnages nus. Dans la Rome baroque, la mythologie est réinterprétée dans une optique chrétienne et morale. Ainsi, éclairé d'une signification nouvelle par le poème, le groupe d'Apollon et Daphné illustre la vanité du désir, la désillusion qui accompagne les plaisirs des sens et la nécessité de s'en libérer en les sublimant. Daphné est transformée en allégorie de la Chasteté ou de la Vertu refusant l'amour physique d' Apollon, elle accède à l''immortalité par sa métamorphose en un laurier toujours vert, symbole de gloire éternelle.
Devenu le pape Urbain VIII en 1623, le cardinal Barberini fait du Bernin le principal sculpteur de son pontificat et lui confie de prestigieuses commandes pour Saint-Pierre de Rome.
Mots-clés
Françoise Besson
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Publié le 17/01/2019
Ressources
Le site de la villa Borghese
Sur la définition de l’art baroque
Glossaire
Allégorie : Représentation figurée d’une idée abstraite.
Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.
Mythologie : Ensemble des croyances et des récits liés aux religions non monothéistes.
Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.
Villa : Terme utilisé dans l’Antiquité romaine pour désigner un domaine rural (villa rustica) ou une riche demeure proche de la ville (villa suburbaine).
Art baroque : (du mot portugais « barocco »qui désigne une perle irrégulière) : Style qui se développe au XVIIe siècle en Italie, puis dans de nombreux pays européens. Parlant plus aux sentiments qu’à la raison, il privilégie l’exubérance des formes, la représentation du mouvement et les effets de surprise. Il fait appel à tous les arts dans leur ensemble.