Le Déjeuner sur l’herbe Manet Édouard

Le Déjeuner sur l’herbe

D’après Edouard Manet

Dimensions

H. : 208 cm ; L. : 264,5 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1863

Lieu de conservation

France, Paris, musée d’Orsay

En quoi Édouard Manet modernise-t-il la tradition picturale ? Pourquoi ce tableau fait-il scandale ?

Édouard Manet est formé entre 1850 et 1856 dans l'atelier de Thomas Couture, un peintre académique renommé. Mais, peu à peu, l'artiste prend ses distances avec la tradition classique. Il est âgé de trente ans lorsqu'il commence à peindre Le Déjeuner sur l'herbe image principale, une toile de grand format qu'il intitule Le Bain puis La Partie carrée. Habituellement, les toiles de grandes dimensions sont réservées à la peinture d'histoire, et non à la représentation de simples scènes de genre. Édouard Manet espère néanmoins pouvoir présenter son œuvre au Salon officiel.

Une composition étonnante

La toile présente trois personnages principaux, figurés en grandeur naturelle : deux hommes en costume contemporain et une femme nue, assis dans un sous-bois, près d'un reste de pique-nique. Les deux hommes semblent discuter, tandis que la femme regarde le spectateur.

À l'arrière-plan, une jeune femme en chemise se baigne.

La nature est évoquée par certains détails, notamment la grenouille brossée dans l'angle inférieur gauche du tableau et le bouvreuil image b placé tout en haut de la toile.

Toutefois, rien ne semble vraiment réel dans cette composition, qui s'apparente à une mise en scène. La nature morte au panier renversé révèle des fruits, figues et cerises, de saisons différentes image c. Quant à la femme nue, son image résulte d'une forme de collage : elle présente le visage de Victorine Meurent, l'habituel modèle d'Édouard Manet, tandis que son corps est celui de Suzanne, compagne puis épouse du peintre.

Une mise à distance provocante

La femme assise captive tant par l'apparente blancheur de sa carnation que par l'intensité de son regard. Nue, installée auprès d'hommes vêtus d'habits contemporains, elle ne semble ni gênée, ni pudique, affirmant sa totale liberté. L'effet de contraste avec son environnement est renforcé par le rendu de la lumière : elle est éclairée de manière totalement artificielle. Elle semble défier celui qui la regarde image d, empêchant le spectateur de s'identifier au sujet et le tenant à distance de la scène.

Jusque-là, dans l'art classique puis académique, le nu féminin est un sujet très largement répandu. Il est cependant toujours idéalisé, en référence aux canons de beauté de l'Antiquité gréco-romaine repris à la Renaissance. Par son sujet, Édouard Manet s'inscrit dans la tradition de la peinture italienne de la Renaissance : il s'inspire d'un tableau de Titien, à l'époque attribué à Giorgione, Le Concert champêtre image 1, et d'une gravure réalisée d'après une œuvre de Raphaël, Le Jugement de Pâris. Mais contrairement à ces tableaux, le peintre exclut toute possibilité d'interprétation mythologique de son œuvre en associant deux hommes vêtus à cette scène de baignade. La toile, alors perçue comme une provocation à forte connotation sexuelle, scandalise aussitôt le public.

Scandale au Salon

En 1863, en plein Second Empire victorieux, cette toile et beaucoup d'autres sont refusées par les membres du jury du Salon officiel. Afin de calmer la colère de nombreux artistes, Napoléon III permet cette année-là la tenue exceptionnelle d'un salon parallèle, le Salon des refusés, où Édouard Manet expose son œuvre.

Le Déjeuner sur l'herbe ne rencontre que le mépris voire d'hilarité du public. Si la toile paraît indécente et obscène, il est également reproché au jeune artiste de ne pas savoir peindre selon les règles les plus élémentaires de l'académisme. Par exemple, la jeune baigneuse de l'arrière-plan paraît plus grande qu'elle ne devrait l'être dans une composition en perspective correctement établie. Par ailleurs, la surface picturale laisse apparaître de nombreux empâtements et des motifs traités par larges coups de pinceaux or, à cette époque, le dessin se doit d'être précis dans son tracé et la peinture lisse dans sa touche finale. L'œuvre est néanmoins destinée à une grande postérité et cristallise les recherches picturales les plus novatrices.

Une grande postérité, de l'impressionnisme à l'art moderne

Avec cette toile, Édouard Manet devient véritablement le premier peintre moderne. Si son œuvre est critiquée par un large public, elle ouvre, par ses questionnements sur la modernité du sujet, l'usage de la perspective et les contrastes colorés, un immense terrain d'investigation à ses successeurs.

Ainsi, deux ans plus tard, Claude Monet propose une version moins choquante de ce sujet, à la fois hommage et défi à image 2 : point de nu dans sa toile, mais un traitement de la lumière naturelle qui annonce l'impressionnisme. Dans les années 1870, Paul Cézanne s'inspire à son tour de la toile image 3. Plus tard, près d'un siècle après sa création, Pablo Picasso réalise une série d'après Le Déjeuner sur l'herbe image 4, une œuvre qui ne pouvait que l'interpeller, étant lui aussi un grand peintre de nu du XXe siècle. Enfin, d'autres artistes, tels qu'Alain Jacquet dans les années 1960, reprendront à leur tour ce sujet.

Véronique Duprat-Roumier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-dejeuner-sur-lherbe

Publié le 31/07/2020

Ressources

L'étude du "Déjeuner sur l'herbe" de L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/fr/etudes/dejeuner-herbe

Un dossier pédagogique sur l’œuvre à télécharger sur le site de l’académie de Strasbourg

https://www.ac-strasbourg.fr/fileadmin/pedagogie/lettres/Ressources_lycee_2de_1ere/Zola_-_Manet_version_3.doc

Une émission consacrée à l’œuvre à réécouter sur le site de France Culture

https://www.franceculture.fr/emissions/les-regardeurs/le-dejeuner-sur-l-herbe-d-edouard-manet

Glossaire

Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.

Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.

Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.

Scène de genre : Sujet de peinture qui présente la vie quotidienne en famille et en société.

Nature morte : Représentation d’objets, de végétaux, de nourriture ou d’animaux sans vie.

Empâtement : Relief obtenu par l’application d’une épaisse couche de peinture.

Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.