Fruits et riche vaisselle sur une table Heem Jan I David
Fruits et riche vaisselle sur une table
Auteur
Dimensions
Provenance
Technique
Matériaux
Datation
Lieu de conservation
Que se cache-t-il derrière une nature morte ?
Si, au Moyen Âge, la peinture a une vocation essentiellement religieuse, la Renaissance voit se développer en parallèle des genres profanes (portrait, scène de genre, paysage, nature morte…). Au XVIIe siècle, ces derniers prospèrent dans le Nord de l'Europe, en Flandres et en Hollande, où les artistes se consacrent souvent à l'un d'entre eux. Jan Davidsz De Heem, lui, fait de la nature morte sa spécialité.
Itinéraire atypique d'un Hollandais en Flandres
Membre d'une dynastie de peintres, Jan Davidsz De Heem est né en 1606 à Utrecht image 4, ville des Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) restée catholique. Formé par son père à la peinture de fleurs, il se rend à Leyde où il apprend le sens symbolique des objets représentés, notamment dans les vanités, œuvres souvent austères favorisant la méditation sur la mort et la fugacité des plaisirs sensuels image 1. Le peintre expérimente à Haarlem image 4 la simplicité du style monochrome, telle l'harmonie des bruns employée par Willem Claesz Heda dans sa toile Un dessert, magnifiant ainsi des objets raffinés disposés dans un savant désordre image 2. Mais c'est à Anvers image 4 qu'il assoit sa réputation et apporte ses qualités d'artiste hollandais à la somptuosité des œuvres baroques de la grande cité flamande. Il découvre le dynamisme des compositions d'un peintre comme Snyders, proche collaborateur de Rubens, dans les toiles duquel règne l'impression de mouvement : les objets sont brisés ou en déséquilibre, les couleurs vives et l'effet d'ensemble est privilégié sur la description détaillée de chaque élément image 3. On semble s'éloigner de cette vie silencieuse des choses immobiles qui fut longtemps la définition même de la nature morte aux Pays-Bas, stilleven (d'après nature) ou stillstehende Sachen (choses immobiles), distincte de la peinture de figures humaines.
Une peinture d'apparat
De Heem développe à Anvers un art qui assure son succès auprès de grands seigneurs et de patriciens soucieux d'embellir leurs demeures. Le format imposant de Fruits et riche vaisselle sur une table dit autrefois Un dessert révèle ce rôle de grande décoration image principale. L'œil est d'emblée saisi par l'abondance des objets, fruits, vaisselle raffinée, instruments accumulés. La blancheur de la nappe éclaire le centre de la composition et aide à apprécier la variété des couleurs des fruits, la brillance de l'orfèvrerie. L'apparat de ce type de « tables servies » est renforcé par la théâtralité apportée par le grand rideau pourpre. Le peintre assimile la splendeur flamande mais ne perd pas pour autant le sens analytique propre à la tradition hollandaise. Tout en recherchant un effet d'ensemble, il parvient à restituer par une touche fine et précise les différentes textures de chaque objet représenté.
Une profusion de symboles
Outre cette abondance décorative, chaque objet représenté est porteur d'une symbolique. Ainsi, sur la table, les raisins, les verres de vin et les petits pains sont généralement liés au sacrement de l'Eucharistie. Les fruits réunis sur cette toile ne sont pas tous de la même saison et auraient donc été représentés pour leur valeur symbolique : les cerises évoqueraient les fruits du Paradis, les pommes et les pêches le fruit défendu, les raisins la rédemption et l'intérieur de la noix la Croix du Christ. La tourte entamée, à l'instar du luth, de la flûte traversière et du rouleau de musique, exprimerait quant à elle les plaisirs des sens. Face aux richesses et aux plaisirs, il s'agit de garder de la mesure et de la tempérance, comme le rappellent respectivement la montre et l'orfèvrerie de luxe au couvercle orné d'un oiseau sculpté et placée non loin d'une aiguière détail b. Enfin, sur le promontoire, le globe rappelle l'universalité des connaissances.
Un banquier, un roi et un peintre conquis par la toile de De Heem
Le banquier colonais Jabach ne pouvait ignorer le prestige de l'artiste et acquiert cette toile. Dès 1662, il la vend à Louis XIV avec un ensemble de tableaux et de dessins de sa collection, preuve de l'intérêt du roi pour la peinture du Nord.
Depuis la réalisation du tableau en 1640, chacun est subjugué par la virtuosité technique de Jan Davidsz De Heem, jusqu'au peintre Henri Matisse qui copie l'œuvre au Louvre en 1893. Il la réinterprète vingt-deux ans plus tard, en 1915, en jouant sur l'opposition des masses colorées et des volumes pour restituer le rythme de cette toile très équilibrée, tout en simplifiant et en aplatissant les formes. Dans un entretien, Matisse dira à propos de la copie de la toile : « C'est extrêmement compliqué. On dirait que c'est peint à la loupe. Il y a des choses dont le travail est poursuivi à l'infini… »
« À l'infini » se trouve scruté le monde visible et traduites la beauté des choses et leur précarité.
Mots-clés
Christine Kastner-Tardy
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/fruits-et-riche-vaisselle-sur-une-table
Publié le 20/05/2016
Ressources
La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre
Glossaire
Eucharistie : Sacrement du christianisme par lequel, lors des offices religieux, sont commémorés le dernier repas du Christ avec les apôtres et son sacrifice sur la croix.
Nature morte : Représentation d’objets, de végétaux, de nourriture ou d’animaux sans vie.
Orfèvrerie : Art de travailler les métaux précieux.
Rédemption : Mystère et dogme qui, dans la religion catholique, veut que le sacrifice du Christ sur la croix ait lavé l’humanité de ses péchés.
Scène de genre : Sujet de peinture qui présente la vie quotidienne en famille et en société.
Vanité : Type d’œuvre favorisant la méditation sur la mort et le caractère éphémère des plaisirs sensuels. Parmi les objets symboliques le plus fréquemment représentés figurent le crâne, le sablier, la flamme …