Le cratère de Vix
Cratère
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Pourquoi un vase grec dans la tombe d’une princesse celte ?
En 1953, la mise au jour de la tombe de Vix, en Côte-d'Or, est l'un des événements les plus importants de l'archéologie nationale. Si cette découverte est particulièrement intéressante pour la connaissance du monde celtique, la tombe a également livré une pièce spectaculaire : le plus grand vase grec en bronze connu à ce jour, le « cratère de Vix » [ image principale ], conservé au musée du Pays châtillonnais (Châtillon-sur-Seine).
Une iconographie rare sur un vase spectaculaire
Le vase de Vix est un cratère à volutes aux dimensions exceptionnelles. Il mesure 1,63 mètre de hauteur, pèse 208 kilogrammes et peut contenir jusqu'à 1100 litres de liquide.
Le décor se concentre sur la partie supérieure du vase. Les hautes anses enroulées s'ornent de bustes de gorgones [ détail b ] le visage grimaçant, les yeux grands ouverts, la bouche montrant des crocs menaçants et la langue tirée, ces monstres à queue de poisson sont entourés de lions et de serpents dressés qui fixent le spectateur [ détail c ]. Ces figures protectrices se retrouvent fréquemment dans le décor des vases en bronze [ image 1 ].
Le col du cratère est orné d'une frise de personnages qui avancent vers la droite, à pied ou montés sur des chars tirés chacun par quatre chevaux [ détail d ]. Les personnages marchant sont des hoplites, fantassins grecs lourdement armés ils portent en effet le casque corinthien [ image 2 ], la cuirasse, les cnémides (jambières) et l'hoplon (bouclier rond). Les conducteurs des quadriges sont quant à eux vêtus de leur longue tunique traditionnelle [ image 3 ].
Pourquoi les hoplites sont-ils figurés nus ? Pourquoi les cochers portent-ils un casque ? Si ces détails font de cette frise une œuvre quasiment unique dans l'art grec, ils rendent incertain le sens de cette scène.
La signification est peut-être donnée par la présence de la statuette féminine qui est placée sur le couvercle-passoire du cratère [ détail e ]. La figure est vêtue d'un chiton (tunique à manches) et d'un himation (manteau) dont un pan lui couvre les cheveux. Elle tenait à l'origine une phiale (coupe) et une œnochoé (vase à verser) [ détail f ]. Elle était donc représentée en train de faire une libation, une offrande liquide, pratique souvent associée dans l'iconographie grecque au départ du guerrier. Le décor du cratère de Vix était donc peut-être destiné à exalter le courage des hoplites qui partaient au combat pour défendre la cité.
Sur les traces du vase de Vix
Dans quelle région du monde grec le vase a-t-il été créé ? La forme du cratère ainsi que les figures qui l'ornent trouvent des parallèles dans des œuvres produites en Italie du Sud, dans les cités grecques de Tarente et de Sybaris, à la fin du VIe siècle av. J.-C.
Le vase de Vix témoigne de la maîtrise des ateliers de la Grande Grèce dans l'art de la toreutique, l'art de fabriquer des objets en métal.
Le cratère est composé de plusieurs parties réalisées séparément. Le corps, ovoïde, a d'abord été coulé sous la forme d'un gros œuf aux parois épaisses ensuite amincies par martelage afin de lui donner sa taille définitive. Le pied et les anses ont été fondus à part, puis soudés et rivetés.
La frise de guerriers est composée de petits reliefs indépendants fixés sur le col. Les chevaux sont les figures les plus remarquables : leurs corps, au modelé élégant, se succèdent sur différents plans. Les têtes de certains chevaux sont ainsi complètement détachées du support [ détail b ]. Ciselées avec soin, les mèches des crinières sont représentées tressées, ondulées, taillées en crête ou nouées sur le front [ détail d ]. Au-delà du jeu décoratif, l'attention portée à la représentation du cheval montre l'intérêt des Grecs pour l'art animalier.
La statuette féminine est d'une grande simplicité. La sobriété de la représentation des vêtements comme la sérénité des traits de son visage semblent faire écho au geste cultuel que la femme accomplit.
Comment ce vase monumental a-t-il été acheminé d'Italie du Sud vers la Bourgogne ? Il a certainement emprunté la voie maritime par la mer Adriatique, puis la route terrestre à travers les Alpes à partir de la plaine du Pô. Cette route, comme celle partant de Marseille et suivant le couloir rhodanien puis la Saône, fait partie des grandes voies commerciales de l'Antiquité. Ce sont des routes qui permettent aux Grecs et aux Étrusques se procurer de l'étain, un métal rare nécessaire à la fabrication du bronze, qui provient alors du Sud des îles britanniques.
La tombe princière de Vix
Le vase a été retrouvé dans une tombe féminine datée du début du Ve siècle av. J.-C. et située sur le territoire de la commune de Vix, au pied du mont Lassois [ image 4 ], siège d'un complexe aristocratique celtique qui connaît alors son apogée. Les archéologues ont découvert plusieurs résidences princières du même type dans une aire géographique allant de la Haute Autriche à la Bourgogne.
Le site fortifié occupe une place stratégique sur la route de l'étain. Il tire sa richesse des échanges commerciaux entre le Nord et le Sud de l'Europe. On compte ainsi, parmi les objets importés retrouvés dans la tombe, des vases grecs et étrusques venant d'Italie, mais aussi de l'ambre originaire de la Baltique.
La tombe de la Dame de Vix était creusée dans le sol et protégée par un tumulus aujourd'hui disparu. La défunte devait occuper une position sociale et politique éminente, voire exercer une fonction religieuse. Vêtue de ses habits et parée de bijoux somptueux, elle était allongée sur la caisse d'un char à quatre roues. Le cratère était placé auprès d'elle, accompagné d'une coupe grecque et d'une œnochoé étrusque, les trois vases composant le service à boire. Il semble que le vase était empli de liquide, peut-être un vin grec importé ou une boisson locale comme l'hydromel.
L'aristocratie celtique a manifestement copié l'usage grec et étrusque du banquet. Le somptueux matériel retrouvé dans la tombe princière contemporaine de Hochdorf, en Allemagne, montre la même volonté d'exprimer sa puissance à travers des pratiques culturelles étrangères que l'on s'approprie.
Le cratère de Vix a-t-il été offert par des Grecs à la Dame de Vix pour entretenir de bonnes relations commerciales ? Est-il un exemple du don d'objets de prestige entre principautés celtiques destiné à renforcer les liens entre les grandes familles ?
Ces questions, restées sans réponses, sont aujourd'hui encore au cœur de l'actualité. Des fouilles archéologiques débutées en octobre 2014 ont récemment permis de découvrir à Lavau, dans l'Aube, une tombe princière datant du début du Ve siècle av. J.-C. À l'intérieur de cette dernière, divers objets, dont un chaudron d'un mètre de diamètre, contenant lui-même une œnochoé.
Hélène Bordier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-cratere-de-vix
Publié le 13/05/2015
Ressources
Découvrir les collections du musée du Pays châtillonnais à Châtillon-sur-Seine
Lire l’article de Jean-Pierre Brun et Matthieu Poux sur la pratique du vin
http://www.academia.edu/2437500/Le_vin._Nectar_des_Dieux_Genie_des_Hommes
Lire l’article de Stéphane Verger sur la signification du matériel de la tombe de Hochdorf
Sur le trésor de Vix
Visiter le site du musée de Hochdorf, présentant le matériel découvert dans la tombe et la reconstitution de cette dernière (en allemand et en anglais)
http://www.keltenmuseum.de/index.php/en/the-celtic-museum/the-museum
Glossaire
Cratère : Le cratère est le vase dans lequel les Grecs de l’Antiquité mélangent le vin et l’eau lors du banquet. C’est un vase largement ouvert qui comporte deux anses. On différencie plusieurs types de cratères. Le cratère en calice présente une large vasque ouverte comme un calice. Le cratère à volutes doit son nom à la forme de ses anses s’enroulant en volutes au-dessus de la bordure du vase. Le cratère à colonnettes a deux anses plates soutenues par des étais évoquant la forme de petites colonnes.
Gorgone Méduse : Dans la mythologie grecque, les Gorgones étaient trois sœurs, des créatures hybrides entre l’homme et l’animal. La plus célèbre d’entre elles, Méduse, était la seule à être mortelle. Sa chevelure était constituée de serpents et son regard pétrifiait quiconque le croisait. Persée la décapita et offrit sa tête à Athéna. La tête de Méduse devint ainsi un des attributs de cette déesse.
Grande Grèce : Nom donné dans l’Antiquité au Sud de la péninsule italienne (les régions actuelles de la Campanie, de la Calabre et des Pouilles) où se trouvaient de nombreuses cités grecques. Tarente était l’une des plus importantes.
Bas-relief : Type de sculpture en deux dimensions. Le matériau est creusé afin que la forme souhaitée apparaisse en épaisseur par rapport au fond.
Ronde-bosse : Sculpture en trois dimensions, travaillée sur toutes ses faces. Toute statue est une ronde-bosse.
Martelage : Technique de métallurgie consistant à mettre en forme au marteau une plaque de métal posée sur une pièce de bois.
Cité : Dans la Grèce antique, le terme désigne une communauté politique autonome comprenant un espace urbain et les territoires qui l’entourent.
Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.