Salon Agam pour le palais de l’Élysée Agam Yaacov

Salon Agam

Auteur

Dimensions

H. 4,70 m ; L. 5,48 m ; P. 6,22 m

Provenance

Paris, palais de l’Élysée

Technique

Matériaux

Laine, bois, Transacryl, aluminium, peinture, dispositifs lumineux, métal, Plexiglas

Datation

1972-1974

Lieu de conservation

Paris, musée national d’Art moderne - Centre Pompidou

Comment un espace tridimensionnel devient-il une peinture vivante ?

Yaacov Agam est un artiste israélien formé dans l'esprit du Bauhaus. En 1971, il reçoit une commande officielle du président Georges Pompidou pour aménager l'antichambre des appartements privés du palais de l'Élysée [ image principale ]. Cet aménagement est conçu comme un espace pictural à « habiter ». Il symbolise la vision artistique du président qui eut l'initiative de la création du Plateau Beaubourg, futur Centre Georges-Pompidou. Cette institution, qu'il souhaitait à la fois musée et centre de création, sera inaugurée en 1976, un an après sa mort. Pompidou ne verra pas non plus le salon terminé.

Une œuvre d'art total

Appelée « Salon de l'Élysée » lors de sa conception, cette pièce présente un décor qui unit peinture et art décoratif. Des panneaux de verre translucide coulissants servent de porte d'entrée [ image principale ]. Ils sont teintés de couleurs primaires et secondaires avec un gel spécial, le Transacryl. Au sol, un tapis d'une impressionnante richesse chromatique a nécessité un nuancier de 180 couleurs. Il a fallu deux ans à Agam pour en dessiner le carton, inspiré des motifs géométriques et colorés des murs, et deux ans et demi pour le faire tisser à la manufacture des Gobelins à Paris. Au plafond, des écrans de verre peints inclinés reflètent la lumière provenant d'une source invisible. Les trois murs de la pièce sont parés de panneaux en aluminium pliés en accordéon dont les faces opposées sont peintes de motifs différents. Ils sont dits « métapolymorphiques », car, en se déplaçant d'une extrémité à l'autre de chaque paroi, le visiteur voit une image qui se déforme et se transforme. Le Triangle volant [ détail c ], sculpture en acier poli composée d'un cube, d'une sphère et d'un triangle, complète cet environnement en le reflétant.

Une symphonie visuelle

L'aménagement d'Agam est avant tout une œuvre picturale. Le mur de face présente 900 nuances de couleurs [ détail b ]. Chaque couleur est modulée et se transforme progressivement, provoquant un effet d'ondulation. Le peintre compare ces tableaux vivants à des arcs-en-ciel. Le mur de droite, dont les motifs géométriques symbolisent les étoiles, évoque selon lui le passage du jour à la nuit. Les panneaux en verre coloré du plafond recréent les tons changeants du ciel. Cet ensemble évoque le cycle de la nature, de la même manière que le décor des Nymphéas de Monet au musée de l'Orangerie. Ici, toutefois, le langage est abstrait. Musicien autant que peintre, Agam considère qu'il y a des liens entre la musique et les œuvres visuelles. Les éléments sont ordonnés avec rigueur comme dans une partition, et la notion de temps est nécessaire à l'appréhension de chacun et du tout. La qualité rythmique et la modulation de tons chauds et froids donnent une dimension musicale à cet environnement et l'apparentent à une symphonie en couleurs.

La dimension infinie de l'invisible

Le potentiel polymorphe de l'œuvre est activé par le déplacement du visiteur. Selon l'artiste, découvrir le salon, c'est faire l'expérience de la quatrième dimension, car le décor joue avec le temps et l'espace. À chaque pas, le point de vue change, une image apparaît, tandis que la précédente disparaît. Cette expérience fait réfléchir le spectateur : ce qui existe n'est pas forcément visible, et les images invisibles sont innombrables. L'œuvre comporte une dimension métaphysique dont la source est à rechercher dans le judaïsme. Elle s'inscrit dans une époque qui voit s'effondrer les valeurs spirituelles après les bouleversements de Mai-68. Agam a déclaré que cette œuvre était profondément liée à Paris où elle a vu le jour, même si ses racines sont au Moyen-Orient, dans la Bible. Les transparences et les reflets produisent des effets surprenants. Le cube posé au sol [ détail c ] semble ainsi se dématérialiser, se fondre dans le tapis qu'il reflète. De même, les portes de verre laissent pénétrer dans la pièce une lumière teintée qui brouille la perception des couleurs réelles de son décor intérieur.

L'art et le mouvement : cinétique ou optique ?

L'œuvre d'Agam s'inscrit dans une longue série de recherches sur l'art en mouvement menées par de nombreux artistes depuis le début du XXe siècle et jusqu'à nos jours. Parmi les fondateurs de ce courant figurent Calder avec ses mobiles [ image 1 ] et Duchamp [ image 2 ]. Dans les deux cas, ce sont les sculptures qui bougent réellement, soit sous l'effet du vent, soit mécaniquement. On parle d'art cinétique à leur propos, le mot cinétique venant du mot grec kinêsis, qui signifie mouvement mais aussi transformation. Une œuvre comme le Salon d'Agam doit sa nature cinétique au déplacement du spectateur. Il existe aussi des créations artistiques où le mouvement ne vient ni de l'œuvre ni du spectateur, mais relève de l'impression visuelle, dans ce cas on parle d'art optique. L'intention d'expérimenter la sensation rétinienne de dilatation de l'espace et de vibration lumineuse est plus ancienne : on peut déjà l'observer dans les Coquelicots de Claude Monet. Au XXe siècle, Vasarely l'explore à son tour dans les peintures abstraites où il combine couleurs et formes géométriques [ image 3 ]. Dans les années soixante, les possibilités optiques donnent également lieu à des recherches collectives. Cinq artistes, dont François Morellet, forment ainsi le Groupe de recherche d'art visuel.

Isabelle Majorel

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/salon-agam-pour-le-palais-de-lelysee

Publié le 19/07/2013

Ressources

Sur François Morellet, autre grand artiste de l’art cinétique

http://francoismorellet.wordpress.com/oeuvres/

Sur La Tente, autre sculpture d’Agam, située à Dijon devant l’université de Bourgogne

http://utb.u-bourgogne.fr/images/stories/catalogue_art_campus_2018.pdf

Glossaire

Art cinétique : Courant artistique qui se développe à partir du XXe siècle et qui introduit le mouvement dans les arts plastiques.

Art abstrait : Expression artistique, née au début du XXe siècle, qui ne met pas en jeu la représentation du réel. Kandinsky (1866-1944) est un artiste pionnier de cette nouvelle tendance en peinture. Plusieurs courants d’art abstrait se succèdent ou coexistent jusqu’à nos jours.

Gobelins : Manufacture de meubles et de tapisseries créée à Paris sous Louis XIV, dont Charles Le Brun fut le premier directeur. Institution royale puis nationale, elle conserve et produit encore aujourd’hui des pièces destinées à l’ameublement des palais de la République.

Bauhaus : École d’arts appliqués fondée par Walter Gropius à Weimar (Allemagne) en 1919 et fermée par le régime nazi en 1933. Son rayonnement perdure par l’exil de ses membres. Elle propose de faire la synthèse entre les arts, l’artisanat et l’industrie. Tout le design contemporain en découle.