Autoportrait en Allégorie de la Peinture Gentileschi Artemisia

Autoportrait en allégorie de la Peinture

Dimensions

H. : 98,6 cm ; L. : 75,2 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

Vers 1638-1639

Lieu de conservation

Royaume-Uni, The Royal Collection Trust

L’Italie du XVIIe siècle est-elle favorable à l’épanouissement d’une artiste femme ?

En 1593, Artemisia Gentileschi naît à Rome image 9, brillant foyer artistique. Son père, Orazio, ami du Caravage, est peintre. Il lui enseigne le dessin. Elle ajoute dans ses tableaux le théâtral et le dramatique. Sa vie, marquée par des tragédies et des relations difficiles, est dominée par son désir de réussite. Sa volonté et sa passion feront de son existence un roman d’aventures.

Un autoportrait allégorique

Ce portrait image principale présente Artemisia, âgée de 45 ans, en qualité d’artiste, et comme l’incarnation de la peinture. Elle se peint travaillant devant une toile, avec les attributs de la peinture décrits par Cesare Ripa dans son traité Iconologia publié en 1593. Une chaîne avec un pendentif en forme de masque symbolise l’imitation. Les mèches de cheveux détachées évoquent le tempérament artistique, et le vêtement aux couleurs changeantes (le drappo cangiante) montre son habileté à peindre différents motifs.
Elle se met en scène au moment de sa création, son geste est suspendu ; la lumière éclaire son front, indiquant sa réflexion, indispensable à la conception et à la réalisation du tableau. Elle va à l’encontre des préjugés sexistes de son époque, montrant de cette manière « ce qu’une femme sait faire », selon ses propres termes.

De la jeune fille humiliée à la femme résolue

Elle a 12 ans quand meurt sa mère. Elle échappe aux tâches domestiques et au couvent et devient apprentie chez son père image 1 avec ses frères. Elle prépare les couleurs, étudie le dessin et montre un talent exceptionnel : elle sera peintre. À 17 ans (1610), elle peint Suzanne et les vieillards – tableau longtemps attribué à son père, parce que leurs styles sont très proches. Ce choix est difficile, mais d’autres femmes ont réussi avant elle, comme Sofonisba Anguissola, Lavinia Fontana, Fede Galizia. L’Académie de Saint-Luc est réservée aux garçons, son père lui donne donc un précepteur, Agostino Tassi, dont la spécialité est le trompe-l’œil architectural.
Tassi est violent, il vole argent et tableaux à Orazio et viole Artemisia en 1611. Il promet le mariage pour réparer, mais il a déjà une épouse. Le viol est rarement signalé en ce temps : les victimes, pour des raisons sociales, intellectuelles ou financières, ne déposent pas plainte. Artemisia appartient à une classe aisée et son père est célèbre. En 1612, il réclame justice pour « stupro violente » (défloration par la force). Artemisia subit un procès humiliant, dont la retranscription détaillée subsiste aujourd’hui. Le tribunal qualifie l’acte de « stupro qualificato » (défloration avec promesse de mariage) et, plus que la violence de l’agression, c’est la promesse brisée du mariage qui est reprochée à Tassi. Il ne répare pas ce qu’il a commis et laisse une jeune fille déshonorée. Il est condamné à cinq ans d’exil. Orazio arrange pour sa fille un mariage avec Stiattesi, peintre modeste. Artemisia retrouve un statut honorable. Elle quitte Rome pour Florence.

Une femme peintre dans l’Italie du XVIIe siècle

Comme son père, Artemisia a pour modèle Caravage image 2. Elle sait tout en matière de peinture, de couleurs et de mélanges. Ses tableaux sont réalistes, dramatiques, violents, et peints dans un clair-obscur contrasté. Elle traite les sujets historiques et religieux image 3, à l’époque où les dames peignent des fleurs. Elle donne ses traits à ses héroïnes (Judith, Sainte Cécile jouant du luth image 4, Le Martyre sainte Catherine d’Alexandrie image 5).
Ses héroïnes bibliques traduisent sa colère, son désir de vengeance, sa rébellion contre la domination masculine. Elle choisit des femmes fortes, préférant Judith à une Vierge douce et soumise. Artemisia a conscience de la difficulté d’être une peintre : « J’ai bien peur que vous ne m’ayez trouvée arrogante et présomptueuse […] Vous me trouvez pitoyable car avant même de poser les yeux sur mon travail, le nom d’une femme soulève des doutes », écrit-elle à Antonio Ruffo en 1649.
Elle subit les préjugés à l’égard des femmes, mais ses qualités artistiques la font entrer dans le cercle des meilleurs maîtres de son temps. À 56 ans, elle est reconnue et admirée.

Une vie romanesque en Italie et en Europe

Sa vie est dominée par une quête éperdue de gloire et de liberté. Dès ses débuts à Rome, elle montre son habileté à dessiner le nu et le portrait.
À Florence image 9, en 1612, elle travaille pour les Médicis, qui lui commandent des tableaux très réalistes. Amie de Galilée, elle est la première femme acceptée à l’Académie du dessin de Florence image 6. Les commandes se multiplient et ses mécènes sont prestigieux. Artemisia quitte son époux, trop dépensier. Elle prend quelques amants (l’ambassadeur d’Espagne, le musicien anglais Nicholas Lanier). Elle est amoureuse d’un jeune noble, Francesco Maria Maringhi, qui la protège, recueille ses enfants, paie ses dettes. « Mon très cher, mon cœur, je me réjouis tellement du fait que vous m’aimiez à un point que l’on ne peut imaginer », lui écrit-elle.

De retour à Rome en 1621, elle entre à l’Académie des Desiosi. Son portrait est gravé avec la dédicace « Picturæ miraculum invidendum facilius quam imitandum » (Miracle de la peinture, plus facile à envier qu’à imiter) image 7. Elle rencontre Cassiano dal Pozzo, l’ami de Nicolas Poussin, et le peintre Simon Vouet. Vouet est maître à l’Académie de Saint-Luc, et il y fait nommer Artemisia « in pectore » (en secret).
Elle peint des séries (Cléopâtre, Danaé), des portraits (le sénateur Giasone, la princesse Savelli). Elle gagne de l’argent et son indépendance. Belle et cultivée, Artemisia est excellente luthiste et joue de la guitare.
Elle s’installe à Venise (1626-1630) image 9 à la recherche de grandes commandes, puis à Naples (1630-1656) image 9, où elle collabore à de grands décors pour la cathédrale.
À la tête d’un atelier prospère, elle accueille des artistes qui deviendront célèbres, comme Giovanni Lanfranco image 8.
En 1638, elle rejoint son père à Londres, devenu peintre du roi Charles Ier. C’est là qu’elle peint cet autoportrait. Elle rentre à Naples et y meurt vers 1656, peut-être de la peste.

La réhabilitation d’Artemisia commence en 1916 (Gentileschi père et fille, Roberto Longhi). Le début du XXIe siècle contribue à réévaluer le travail des artistes femmes, et le sien en particulier. Plusieurs tableaux lui sont aujourd’hui réattribués.
Sans doute en raison de son viol, elle veut se mesurer au monde masculin, franchissant les barrières de l’école de dessin à Florence, de l’Académie des Desiosi de Rome, de l’Académie de Saint-Luc. Elle déclare : « Si j’avais été un homme, je doute que cela se serait passé de la sorte. »

 

Marie-Bélisandre Vaulet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/autoportrait-en-allegorie-de-la-peinture

Publié le 22/07/2024

Ressources

« Artemisia Gentileschi en 60 secondes », une présentation de l’artiste par la Royal Academy of Arts (en anglais)

https://www.youtube.com/watch?v=XNbjnwBZl44

L’art à l’écoute : Artemisia Gentileschi, 13 mn. Une vidéo-podcast de la série « L’art à l’écoute », consacrée à Artemisia Gentileschi

https://www.youtube.com/watch?v=6KFwJZRnrrA

MOOC Peintres Femmes, à travers les âges. À l’origine du portrait, une vidéo du GrandPalaisRmn et de la Fondation Orange, 3mn

https://www.youtube.com/watch?v=Xq4eYQu--9o

Artemisia Gentileschi: New Perspectives,1h29. En anglais, sous-titré Une conférence du Getty Museum sur Artemisia Gentileschi et la redécouverte de ses œuvres (en anglais)

https://www.youtube.com/watch?v=LpDXuBXmErY

L’art italien au début du XVIIe siècle (D’après le Caravage), 16 mn. Un cours d’histoire de l’art consacré à l’influence du Caravage dans l’art italien du début du XVIIe siècle

https://www.youtube.com/watch?v=aYUVR84X5k8

Glossaire

Académie de Saint-Luc : Académie des beaux-arts créée à Rome en 1577, en remplacement de l’ancienne corporation des peintres placée sous le patronage de saint Luc.

Trompe-l'oeil : Art qui met en jeu des techniques de perspective afin d’imiter la réalité et donner cette illusion au spectateur

Clair-obscur : Répartition des ombres et des lumières sur une peinture, de telle sorte que les couleurs les plus sombres se juxtaposent aux plus claires et produisent un fort effet de contraste.

Allégorie : Représentation figurée d’une idée abstraite.

Ancien et Nouveau Testament : Pour les chrétiens, les deux recueils constituant la Bible. Le Nouveau Testament, qui comporte notamment les quatre Évangiles, rapporte la vie et l’enseignement du Christ et de ses disciples.

Médicis : Famille florentine de banquiers collectionneurs et protecteurs des arts. Ses membres s’emparent progressivement du pouvoir à Florence au XVe siècle. Deux grands papes de la Renaissance en sont issus : Léon X (1475-1521) et Clément VII (1478-1534). Anoblie au XVIe siècle, la famille Médicis s’allie deux fois à la France en lui donnant deux reines et régentes : Catherine (1519-1589), épouse d’Henri II, et Marie (1575-1642), épouse d’Henri IV.

Portrait allégorique : Portrait dans lequel le modèle apparaît représenté avec les attributs ou le costume, caractéristiques d'une grande figure historique, mythologique ou légendaire (un empereur, un saint, un dieu, un héros…), voire d'une allégorie (la justice, la force…), pour signifier un trait de caractère, un rôle ou une fonction, qui lui sont propres.

Caravagisme : Courant artistique initié à Rome au début du XVIIe par Caravage, qui se caractérise principalement par des compositions sobres, clairement structurées, une représentation fidèle de la réalité et des effets de clair-obscur. On qualifie les peintres qui se rattachent à ce mouvement de « caravagesques ».