Bibliothèque de la Maison du Mexique Perriand Charlotte

Charlotte Perriand, dont le nom est souvent associé de manière réductrice à l’architecte Le Corbusier, est avant tout une créatrice de meubles modernes, comme elle aime se définir ; elle déteste le mot designer.

En 1952, elle participe avec l’atelier Jean Prouvé à l’aménagement intérieur des chambres d’étudiant de la Maison du Mexique, construite par l’architecte Jorge Medellin, à la Cité universitaire de Paris. Son savoir-faire pour l’organisation de petits espaces (appelés espaces minimums) et le rangement rationnel, son sens de l’économie et sa maîtrise du budget lui valent la commande du mobilier complet : un lit, une table, un fauteuil, une chaise et surtout la bibliothèque image principale.

Une pièce maîtresse

Dans une chambre de 13 mètres carrés, la bibliothèque s’impose rapidement au regard, non par le luxe des matériaux mais par son agencement. D’une hauteur totale de 1 mètre 61, elle repose sur deux pieds en traverse (c’est-à-dire qui s’étendent sur toute la profondeur du meuble). Six étagères en sapin, disposées à des hauteurs variables, sont séparées par des casiers en tôle d’aluminium à porte coulissante. Ces casiers en U sont disposés en quinconce ; ce sont des plots métalliques laqués, formés de trois pièces assemblées aux angles : deux flancs et un fond.

Plus de 70 exemplaires de la bibliothèque sont produits, par les ateliers Jean Prouvé pour les parties métalliques et par André Chetaille pour les parties en bois. Ce dernier assemble le tout sur place.

Un élément de séparation

Nourrie des théories novatrices des architectes des années 30, Charlotte Perriand illustre, avec la bibliothèque, les préceptes majeurs du style dit international, comme le maximum de rendement, la modularité et le concept de zone (espace compartimenté). Bien que conçue en 1952, la bibliothèque répond à ces principes : elle est l’élément central de la chambre. Elle permet le rangement ou la dissimulation des objets divers, grâce aux portes coulissantes qui modulent l’esthétique du meuble.

Quant à son emplacement, il crée une véritable séparation des zones. Les chambres de la Maison du Mexique ne possèdent pas de salle de bain privée, mais seulement un lavabo. Charlotte Perriand doit composer avec cet élément impossible à déplacer. Pour le dissimuler et créer un espace plus intime, elle dispose la bibliothèque en travers de la chambre, entre le lit et le lavabo.

Un meuble très actuel

Charlotte Perriand crée toujours un meuble pour un espace donné, comme c’est le cas ici. Pourtant, lors de la réhabilitation de la Maison du Mexique en 2014, les chambres et le mobilier ont été refaits : un nouveau meuble réinterprète la bibliothèque sans la pasticher et permet toujours le zonage de la pièce.

Une bibliothèque d’origine est visible dans le grand hall de la Maison. Quant aux autres, dispersées, elles réapparaissent sur le marché de l’art où elles rencontrent un grand succès. Seule la manufacture Cassina est autorisée à rééditer le mobilier de Charlotte Perriand. La bibliothèque fait partie des pièces les plus emblématiques du catalogue.

Le design de ce meuble et son utilisation comme séparateur continuent d’inspirer de célèbres enseignes de magasins de meubles, mais aussi des designers contemporains, comme Ronan et Erwan Bouroullec avec leur étagère Self Shelf.

Charlotte Perriand et la Cité universitaire

La Cité internationale universitaire de Paris, créée en 1919 par le ministre de l’Instruction publique André Honnorat, a pour vocation de loger des étudiants du monde entier venus étudier en région parisienne, en leur offrant un cadre de vie propice aux études aussi bien qu’aux échanges multiculturels au quotidien. La Cité se veut un lieu de partage et de paix pour ses résidents. Les architectes y voient aussi un véritable laboratoire.

En 1933, Le Corbusier rompt avec l’architecture folklorique ou de tradition académique des constructions récentes à la Cité, avec l’édification du Pavillon suisse qui promeut une image plus moderne du pays constructeur.

Il charge Charlotte Perriand de réaliser les équipements mobiliers. Elle emploie alors déjà le meuble séparateur dans les chambres : un placard fait office de cloison entre l’espace chambre et le coin douche. En 1952, l’architecte Jean Sebag fait à son tour appel à Charlotte Perriand, pour l’aménagement de la Maison de la Tunisie. Pour les chambres, elle crée un mobilier spécifique dont une bibliothèque posée sur le bureau. Cette étagère à quatre niveaux de hauteurs différentes a été conçue la même année que la bibliothèque de la Maison du Mexique. Des similitudes existent, comme l’utilisation des plots en tôle d’acier plié, les couleurs et les portes coulissantes.

Toujours en 1952, Charlotte Perriand conçoit le mobilier de la Maison du Brésil à la demande des architectes Lucio Costa et Le Corbusier. Encore une fois, un meuble écran est utilisé pour la séparation des zones, mais celui-ci est multifonctionnel : armoire de rangement, bibliothèque, penderie. Des tiroirs-casiers en plastique coloré apportent de la gaieté à l’ensemble.

Charlotte Perriand, architecte et architecte d’intérieur, a longtemps été perçue en retrait des collègues masculins de son temps et dans l’ombre de Le Corbusier. Elle est pourtant une pionnière de la modernité et une créatrice visionnaire. Elle a contribué à définir un nouvel art de vivre au XX^e siècle en décloisonnant l’art, l’architecture et le design, mais aussi par son engagement social et par le lien qu’elle recherche entre l’humain et la nature.

L’art de vivre selon Charlotte Perriand, une vidéo INA