Fronton du temple de Banteay Srei

Fronton du temple de Banteay Srei

Auteur

Dimensions

H. : 196 cm ; L. : 269 cm

Provenance

Temple de Banteay Srei, Cambodge

Technique

Sculpture, Relief

Matériaux

Grès rose

Datation

Vers 967

Lieu de conservation

France, Paris, musée Guimet, musée national des Arts asiatiques (MNAAG)

Comment un chef d’œuvre de l’architecture khmère fut-il restauré ?

Situé à un peu plus de 20 km à vol d’oiseau du célèbre site d’Angkor, le petit temple de Banteay Srei image 8 fut découvert en 1914 et fit l’objet d’une ambitieuse restauration de 1931 à 1936 image 1. La présence de très belles figures féminines dans son décor lui aurait valu son nom moderne, qui peut se traduire par citadelle des femmes. Il est considéré comme l’un des joyaux de l’art khmer, et le fronton image principale, conservé au musée national des Arts asiatiques – Guimet, témoigne de l’exceptionnelle qualité de ses sculptures.

L’architecture du temple

Orienté selon un axe est-ouest image 7, le temple de Banteay Srei comporte quatre enceintes concentriques. Ces enceintes sont ouvertes à l’est et à l’ouest par des portiques monumentaux image 2, appelés gopura. La première enceinte, au centre, enserre les trois tours sanctuaires qui abritaient les images de culte et deux édifices couramment appelés bibliothèques image 3. Six longues galeries rectangulaires occupaient la deuxième enceinte. Au-delà se trouvent une douve puis la troisième enceinte. Une chaussée d’accès ponctuée de bornes, bordée de galeries et de quelques salles rectangulaires aujourd’hui en ruines, rejoint l’enceinte extérieure dont il ne reste que peu de vestiges. Deux matériaux de construction ont été utilisés sur le site : un grès rose caractéristique pour les édifices majeurs, et la latérite, de moindre qualité, pour les enceintes et les constructions secondaires.

Décor du fronton

La plupart des reliefs narratifs se trouvent sur les frontons des trois sanctuaires, des bibliothèques image 4 et des porches d’accès aux galeries. De forme triangulaire, ils comportent généralement une scène narrative encadrée par un rampant polylobé, à décor géométrique, surmonté d’un décor de fleurons végétaux détail b. Aux extrémités, se dressent les têtes multiples de deux nâgas, génies serpents de la mythologie hindoue détail c. Le fronton étudié ici image principale, qui provient de la face ouest du portique oriental de la troisième enceinte, est conforme à ce modèle.

Au centre, trois arbres forment un décor boisé dans lequel deux impressionnants personnages masculins, les démons Sunda et Upasunda, s’affrontent dans l’intention de conquérir une gracieuse figure féminine, la nymphe Tilottamâ. Quelques ascètes assis au sol et de gracieuses divinités en vol assistent à la scène détail d

L’histoire reproduite par le sculpteur est empruntée au Mahâbhârata, la grande épopée de l’hindouisme. Les deux démons sont frères. Après un temps de terribles austérités, ils obtiennent des dieux la quasi-immortalité : chacun des deux frères ne pourra être tué que par l’autre. Ils se mettent alors à conquérir les Trois Mondes et sèment la terreur. Les dieux échafaudent un habile stratagème avec l’aide de Vishvakarma, l’architecte divin. Ce dernier façonne une sublime créature féminine surpassant en beauté les plus merveilleuses des nymphes célestes et lui donne pour nom Tilottamâ. Celle-ci se rend dans la forêt et séduit les deux frères. Aveuglés par le désir, ils s’entretuent et la paix revient alors dans les Trois Mondes.

Une iconographie riche et variée

Outre les motifs décoratifs géométriques et végétaux omniprésents, le temple de Banteay Srei présente une iconographie empruntée au répertoire des mythes hindous, ce qui témoigne de la tolérance religieuse qui semble avoir régné au Cambodge à l’époque de la construction. Les fondateurs du temple, comme leur souverain, étaient des adeptes du dieu Shiva. Pourtant, l’un des trois sanctuaires est dédié à Vishnu et la plupart des reliefs narratifs puisent à la mythologie vishnouite. De nombreux reliefs figurent des apsaras, ces gracieuses nymphes célestes qui ont contribué à la réputation de Banteay Srei. Des statues isolées ont également été retrouvées sur le site, notamment des figures de gardiens image 5, à tête animale pour certains d’entre eux, installés par paires de part et d’autre des marches d’accès aux sanctuaires.

Un fondateur puissant

La stèle de fondation, découverte en 1936, livra des informations essentielles sur l’histoire du temple et sur ses fondateurs. Elle indique une date de consécration correspondant à 967 de l’ère chrétienne. Elle permit de comprendre que le monument constituait un ensemble homogène et n’avait pas fait l’objet de transformations importantes. L’inscription figurant sur cette stèle, rédigée en sanskrit et en khmer, comporte un hommage au dieu Shiva et à sa contrepartie féminine, associant ainsi le temple à l’hindouisme, religion privilégiée par les souverains du Cambodge ancien. Le texte fait également l’éloge du roi Jayavarman V, qui venait alors d’accéder au pouvoir, et de son maître spirituel, puissant conseiller et chapelain royal, Yajñavarâha. Ce dernier est donné pour le fondateur du temple, en association avec plusieurs de ses frères et sœurs. Cet édifice était dédié à la mémoire de leurs parents défunts.

Une première en matière de restauration (1931-1936)

Lors de sa découverte en 1914, le temple était en ruines, en partie envahi par la végétation. Son existence n’avait toutefois jamais été oubliée par les villageois des alentours. Son dégagement complet est décidé en 1924, après que le jeune André Malraux ait dérobé sur le site une sculpture dans le but de la revendre. L’affaire avait mis en évidence la nécessité d’une protection plus stricte des monuments de la région. En 1931, l’anastylose de Banteay Srei est décidée image 6 .Cette méthode de restauration, d’abord expérimentée en Indonésie par les Hollandais, consiste à démonter un édifice pierre par pierre pour en comprendre la structure. Il est ensuite remonté avec ses matériaux d’origine et consolidé. Il arrive que, par l’usure du temps, certains éléments ne puissent être repositionnés à leur emplacement d’origine sur le site. Ils sont alors généralement déposés dans des musées. Ce fut le cas pour deux des frontons de Banteay Srei, dont celui qui se trouve aujourd’hui à Paris. L’autre est conservé au musée de Phnom Penh. Les opérations d’anastylose ont duré plus de cinq ans, et la réussite complète conduit à l’adoption définitive de la méthode par le service archéologique de ce qui était alors l’Indochine française.

Véronique Crombé

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/fronton-du-temple-de-banteay-srei

Publié le 09/11/2023

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site du Musée Guimet

https://www.guimet.fr/collections/asie-du-sud-est/fronton/

Pages consacrées à Banteay Srei sur le site des collections photographiques de l’École française d’Extrême Orient

https://collection.efeo.fr/ws/web/app/collection?vc=ePkH4LF7w1I9geonuEeQk6GRuSm0JiQyzehjBhtS1EBziFMiUEFipUJxUWomuNKGBRIABPA1Vg$$

Le site officiel du musée national du Cambodge, à Phnom Penh

http://www.cambodiamuseum.info/en_information_visitors.html

Glossaire

Shiva : L’un des dieux majeurs de l’hindouisme. D’aspect lunaire, lié à la notion de temps et à la vie ascétique, il représente l’aspect destructeur du divin.

Vishnu : L’un des dieux majeurs de l’hindouisme. D’aspect solaire, lié à la notion d’espace et à la fonction royale, il représente l’aspect protecteur du divin.

Hindouisme : Religion majeure de l’Inde, souvent décrite comme polythéiste en raison de la multiplicité des formes qu’y prend le divin.

Fronton : Élément architectural, de forme généralement triangulaire, qui couronne un édifice ou une de ses parties.

Angkor : Entre la chaîne du Phnom Kulen et le Grand Lac ou Tonlé Sap, le site d’Angkor a abrité les capitales de l’Empire khmer du Xe au XVe siècle. Le terme lui-même signifie « la capitale », mais la ville proprement dite s’est déplacée plusieurs fois avant de se fixer à l’intérieur des murailles d’Angkor Thom, la « grande capitale », au XIIe siècle. Des habitations et des palais en matériaux périssables, il ne reste rien ; seules les structures hydrauliques et les temples en brique, grès et latérite sont conservés. Les recherches actuelles, grâce à la technique du Lidar, révèlent une densité d’occupation insoupçonnée jusqu’alors.