La Buire de Lavoye

La Buire de Lavoye

Auteur

Dimensions

H. 20 cm ; L. 13,5 cm ; D. : 11,2 cm

Provenance

Lieu de découverte : France, Meuse, Lavoye, sépulture n°319

Technique

Repoussé (métal)

Matériaux

Bronze, Bois

Datation

Fin du Ve siècle -début du VIe siècle

Lieu de conservation

France, Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale

Que signifie la présence d’une buire à décor chrétien dans une tombe mérovingienne d’un chef franc ?

Alors qu’il effectue des recherches à l’emplacement d’un habitat gallo-romain près de son village de Lavoye image 8, le docteur Meunier découvre une nécropole mérovingienne intacte, qu’il fouille méthodiquement entre 1905 et 1914. Il met au jour 367 tombes datées des VIe et VIIe siècles, dont il décrit avec une grande précision le positionnement et le mobilier qu’elles contiennent parfois. C’est dans l’une d’elles que la buire image principale a été trouvée.

Une tombe au mobilier exceptionnel

L’intérieur de cette tombe placée un peu à l’écart est plaqué d’un coffrage de pierre, et ses dimensions sont exceptionnelles : 1,60 mètre de profondeur pour 3,50 mètres de longueur. Un homme d’une cinquantaine d’années est allongé sur le dos, les bras le long du corps. Au-delà de ses pieds, le prolongement de la fosse est constitué d’un agglomérat de matières décomposées mêlées d’éléments en fer, peut-être des clous. Il pourrait s’agir d’un coffre en bois contenant de la vaisselle également en bois, ces objets périssables ayant été dégradés au fil du temps. Si une partie du squelette s’est naturellement décomposée, un riche mobilier funéraire a été bien conservé. En outre, les relevés de fouilles du docteur Meunier indiquent clairement l’emplacement de chaque objet auprès du défunt, ce qui facilite leur identification.

Des objets luxueux

Plusieurs armes image 1 accompagnent l’homme : trois fers de javelines (lances courtes), un petit couteau dont le manche est recouvert d’une feuille d’or décorée de motifs géométriques, un long poignard dans son fourreau dont il ne reste que la bouterolle en argent. La plus luxueuse est l’épée image 2 longue de 90 centimètres, dont la poignée en or et argent est ornée de grenats. Si le fourreau en cuir ou en bois a disparu, ses garnitures métalliques subsistent : barrette de fer avec grenats cloisonnés d'or, bouterolle en argent, tiges de fixation en argent et grenats, deux étoiles décoratives cloisonnées de grenats et d’or image 3. L’on note la présence d’un umbo de bouclier orné d’argent image 4, le seul retrouvé dans toute la nécropole.

L’homme porte des bijoux cloisonnés de grenats et d’or, une petite boucle de ceinture et un fermoir d’aumônière, ou bourse, figurant deux têtes stylisées d’aigles ou de chevaux image 5. Si la bourse en cuir ou en tissu s’est dégradée, son contenu est toujours présent : une pince à épiler en bronze et un silex, utilisé comme briquet avec un élément de fer absent ici. Cette panoplie est complétée par une grosse perle en pâte de verre bleue qui pouvait servir à la fois d’ornement et de talisman protecteur. Deux éléments de fixation en fer sont placés à la droite du défunt, sans que l’on puisse les identifier.

Une pièce en or à l’effigie de l’empereur byzantin Zénon est posée sur sa main droite ouverte image 6. À ses pieds est disposée de la vaisselle : une coupe en verre verdâtre, une monture en argent qui décorait un objet inconnu, et les restes d’une buire ou cruche en bois recouverte de 15 plaques de bronze estampé  image principale.

Un chef franc

La position privilégiée de la sépulture, l’abondance du mobilier funéraire, la présence d’armes de prestige, le luxe des ornements traduisent le statut social élevé du défunt. Cette tombe est à rapprocher de celle du guerrier inhumé à Pouan ou de Childéric, père de Clovis, dans laquelle on retrouve l’épée longue à poignée d’or, le fermoir d’aumônière zoomorphe ou la technique du décor cloisonné de grenats et d’or de grande qualité.

D’autre part, la forme spécifique de la boucle de ceinture image 7 ne sera plus à la mode après la mort de Clovis en 511. On peut donc supposer qu’il s’agit de la sépulture d’un chef franc qui a vécu à la fin du Ve ou au début du VIe siècle, sûrement dans l’entourage de Clovis, qu’il a peut-être suivi lors de sa conquête de la région autour de 500. Peut-être est-il mort sur le champ de bataille. Il a pu aussi s’installer là afin de veiller sur le territoire nouvellement acquis.

La buire, un objet chrétien

La buire image principale et la coupe en verre constituent un service à boisson dont la présence est fréquente dans les tombes franques. Cependant, cette buire porte cinq panneaux décoratifs représentant des épisodes de la vie du Christ : les noces de Cana détail b, la résurrection de Lazare détail c, Zachée dans le sycomore détail d, les guérisons de l’hémorroïsse détail e et de l’aveugle-né détail f. Ces épisodes sont des miracles décrits dans les Évangiles. La composition des scènes est schématique.

Les caractéristiques techniques et iconographiques de la buire de Lavoye se retrouvent sur un récipient découvert dans le cimetière de Long Wittenham, en Angleterre, où l’on reconnaît plusieurs scènes identiques. La présence dans la tombe de cette buire à décor christique ne signifie pas pour autant que le chef franc était chrétien. Le christianisme devient la religion officielle de l’Empire romain en 380, et certains peuples germaniques se convertissent. Les Francs, quant à eux, gardent leur religion polythéiste d’origine. Lorsque Clovis accède au pouvoir après le démantèlement de l’Empire romain d’Occident, une grande partie de la population de son royaume est chrétienne et les évêques conservent un rôle politique essentiel. Le baptême de Clovis  a lieu à une date incertaine, mais la christianisation est progressive. Il est donc dans l’intérêt de l’élite franque de se convertir à la suite de Clovis. La monnaieimage 6 posée sur la main de l’homme peut symboliser l’obole à Charon, qui fait passer les âmes sur l’autre rive du Styx. Cette coutume romaine païenne subsiste malgré la diffusion du christianisme. Certains chercheurs ont avancé l’idée que la buire aurait fait partie du butin issu du pillage d’une église lors de la conquête. Néanmoins, la découverte d’autres récipients en bronze dans la région atteste de l’existence d’un atelier sûrement localisé à Amiens.

L’hypothèse la plus probable est que ce chef franc encore païen ait choisi délibérément d’être enterré avec une buire à décor chrétien, afin de suivre les pratiques religieuses de l’élite, à une époque où le syncrétisme est habituel.

Anne-Lise Blanchet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-buire-de-lavoye

Publié le 29/08/2024

Ressources

La notice de la tombe 319 sur le site web du musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye

https://musee-archeologienationale.fr/collection/objet/mobilier-de-la-tombe-du-chef-de-lavoye-0

Le trésor de Childéric sur le blog de Gallica (B.N.F.)

https://gallica.bnf.fr/blog/30112016/les-temps-merovingiens?mode=desktop

Le seau de Long Wittenham sur le site web du British Museum

https://www.britishmuseum.org/collection/object/H_1875-0310-1

"La migration franque et la nécropole merovingienne de Lavoye", article à télécharger en PDF

https://www.academia.edu/44053064/La_migration_franque_et_la_n%C3%A9cropole_merovingienne_de_Lavoye_Meuse_un_si%C3%A8cle_de_r%C3%A9flexion

Glossaire

Cloisonné (grenat) : Technique d’orfèvrerie qui consiste à fixer de petites cloisons d’or à la verticale sur un support lui-même en or. Les cloisons reproduisent des formes géométriques, végétales ou animales. On y insère ensuite des plaquettes de grenat.

Mérovingiens : Dynastie de rois des Francs, dont le représentant le plus connu est Clovis (481-511). Elle doit son nom à Mérovée, ancêtre de la lignée. Elle prend fin en 751 avec l’avènement de Pépin le Bref, premier roi carolingien.

Trésor : Le terme trésor désigne à la fois un ensemble d’objets précieux et le lieu qui les abrite.

Nécropole : Cimetière.

Bouterolle : Partie métallique inférieure d’un fourreau d’épée.

Umbo : Élément rapporté sur le centre d’un bouclier et ayant une fonction militaire offensive ou défensive, ou bien un rôle décoratif.

Estampage : Façonnage, par déformation plastique, d’un morceau de métal (lopin) à l’aide d’outillage (matrice) permettant de lui donner une forme et des dimensions très proches de celles de la pièce finie. Tout procédé qui consiste à imprimer en creux ou en relief des lettres, des ornements, des figures sur un corps résistant, ou à découper certains objets, à percer des trous dans les métaux.

Syncrétisme : Le mot syncrétisme désigne le plus souvent la fusion de différentes religions ou cultures. Au XIXe siècle, le syncrétisme désigne  plus particulièrement un courant de pensée empruntant des éléments aux religions et spiritualités connues  et établissant des analogies entre elles.

Art paléochrétien : Art des débuts du christianisme.

Zoomorphisme : En forme d’animal.