La Femme au miroir Titien

La Femme au miroir

Maîtresse de Fazio

Auteur

Dimensions

H. : 99 cm ; L. : 76 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1525-1555

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Cette figure féminine est-elle un portrait ou une allégorie ?

Titien, un des peintres vénitiens les plus célèbres du XVIe siècle, a laissé à la postérité l’image d’un idéal de beauté féminin avec ce chef-d’œuvre image principale. La jeune femme séduit le regard mais révèle en même temps une signification profonde.

Une belle Vénitienne

Le sujet de ce tableau image principale présentant une figure féminine sensuelle et à demi dévêtue est inhabituel à Venise. Cette belle Vénitienne aux longs cheveux entre le blond et le roux laisse voir ses épaules et un bras, modelés de blanc et de rose lumineux. La jeune femme est saisie à sa toilette : d’une main, elle soulève une mèche de sa chevelure, et de l’autre elle tient un flacon détail b posé sur une bordure grise, peut-être en pierre. Le peintre relie de cette façon le spectateur et la scène peinte.

Titien a choisi une posture de trois quarts dynamique, plus vivante qu’un profil image 1, pour son gracieux modèle. Celle-ci ne semble pas se soucier du jeune homme barbu en pourpoint rouge qui se tient dans l’ombre derrière elle et qui lui tend un petit miroir détail c. Il maintient de l’autre côté un miroir convexe ovale dans lequel on devine le reflet de l’espace où évoluent les deux personnages détail d. Il semble que ce soit une chambre éclairée par une fenêtre, également source de lumière dans cette composition.

Le tableau séduit par les couleurs, bleu, vert et rose, par un subtil jeu de clair-obscur qui apporte de la douceur, et par un jeu de lignes courbes (visage, miroir, manche et épaule) porteur de sensualité. Cependant, le sens de cette image se dérobe et laisse même l’observateur perplexe.

Une signification codée

Titien a réalisé plusieurs versions de ce thème et utilise aussi plusieurs fois la posture et le modèle de ce tableau pour d’autres sujets image 2. Dans le contexte de la Renaissance, la peinture comporte des messages humanistes pour des commanditaires cultivés qu’il est difficile aujourd’hui de décrypter.

Ce tableau présente peut-être le portrait d’une maîtresse dont on a perdu l’identité. L’œuvre pourrait être aussi une scène de genre montrant une jeune femme à sa toilette dans un lieu clos et intime. Elle se regarde, la natte est visible dans le miroir derrière elle détail c. Dans ce cas, on s’attendrait plutôt à voir une servante dans le personnage qui l’accompagne, et non un homme : sa présence teinte l’œuvre de sensualité, voire d’érotisme, car la jeune femme se dévoile à lui, cheveux dénoués et décolletée.

Une autre interprétation relie l’œuvre à un pendant, peint par Giorgione, qui montre une Vieille image 3, pour composer une allégorie de la Vanité. Le miroir et le flacon de parfum sont les symboles de la futilité et le miroir est aussi associé à Vénus, la déesse de la beauté image 4. Ici, la jeune femme contemple sa beauté et sa jeunesse, mais le temps passe et la vieillesse et la mort sont inéluctables : « On m'a vu ce que vous êtes, / Vous serez ce que je suis » (Pierre Corneille, Stances à Marquise). L’homme l’observe moins avec convoitise qu’avec attention, tandis que la belle est consciente de sa propre fragilité, car le reflet dans le miroir est fugace. Son regard pensif, un peu mélancolique, porte la signification profonde de l’œuvre.

Jeux de miroirs

Le regard lie les éléments : elle se regarde, il la regarde, nous les regardons. Deux miroirs dans l’œuvre multiplient les points de vue. Le plus petit, rectangulaire, est maintenu devant le visage de la jeune femme. L’autre, ovale et convexe, est d’origine flamande et renvoie son reflet de dos. Jan Van Eyck l’utilise au XVe siècle dans son portrait des Époux Arnolfini, et il est adopté à Venise par Giovanni Bellini, le maître de Titien. Les deux objets reflètent ensemble tous les aspects du modèle et l’espace qui l’entoure. Ils permettent à la peinture d’être aussi efficace qu’une statue autour de laquelle on peut tourner.

Titien démontrerait la supériorité de sa discipline face à la sculpture en faisant de la jeune femme, d’une beauté idéale et saisie dans un mouvement naturel, la métaphore même de la peinture, un « miroir » de vie. Le sous-titre donné à l’œuvre donné par les historiens de l’art, Un éloge de la peinture / le paragone, souligne cette hypothèse. En peintre érudit, Titien connaissait le paragone, ce débat intellectuel du XVIe siècle qui cherche à mettre en évidence la primauté de la peinture sur la sculpture ou inversement. Pour Léonard de Vinci, la peinture est supérieure car le pinceau donne l’illusion de la vie et permet de créer à l’égal de Dieu, alors que pour Michel-Ange, la sculpture est l’art majeur.

Admiré dans toute l’Europe en son temps, Titien exerce une influence dans l’histoire de la peinture jusqu’à Delacroix au XIXe siècle, pour son talent à utiliser des effets de matière, une lumière dorée et des tons raffinés. Le tableau de la Femme au miroir est admiré des siècles après sa mort, notamment par Rossetti image 5.

Marie-Bélisandre Vaulet-Lagnier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-femme-au-miroir

Publié le 13/08/2024

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010062292

"Paragone", un article de l'Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe

https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/humanisme-europ%C3%A9en/humanistes-et-europe/paragone

"Le paragone mis en scène", un article de Pouneh Mochiri, Presse universitaire de Rennes

https://books.openedition.org/pur/35045?lang=fr

Écouter "Stances à Marquise" de Pierre Corneille, Gallica, BNF, 2mn52

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1294796

Glossaire

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Clair-obscur : Répartition des ombres et des lumières sur une peinture, de telle sorte que les couleurs les plus sombres se juxtaposent aux plus claires et produisent un fort effet de contraste.

Humanisme : Mouvement de la pensée qui se développe au cours de la Renaissance et qui met au cœur de ses valeurs la personne humaine, sa dignité et son épanouissement, accompagné d’un retour aux sources gréco-latines