Le Marché aux chevaux Bonheur Rosa
Le Marché aux chevaux
Détail de la Salêtrière
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Comment Rosa Bonheur a-t-elle réussi à s’imposer face aux hommes dans le genre de la peinture animalière ?
Présenté à l’exposition universelle de 1855, Le Marché aux chevaux image principale peint par Rosa Bonheur captive le public et lui ouvre les portes de la notoriété en France et à l’étranger. Achetée par Ernest Gambart, éditeur et marchand d’art anglais, l’œuvre est exposée à Londres au cours de l’été 1856, entourée de celles d’autres artistes français. Le but de Gambart est de vendre le tableau, mais aussi de promouvoir cette femme peintre. Le milliardaire américain Cornelius Vanderbilt en fait l’acquisition en 1887 et en fait don au Metropolitan Museum of Art de New York, où l’œuvre se trouve toujours.
Peindre la fougue animale
La scène est très mouvementée. Les chevaux trottent, galopent, se cabrent. Les palefreniers en blouse connus sous le nom de « casse-cous », officiers obligés de tout marché aux chevaux, courent, chevauchent ou tirent sur les rênes. Ces hommes aident à la vente. Ceux placés au centre ont à la main une cravache détail b. Le but est de faire passer l’animal pour une « bête de feu » aux yeux des acheteurs. Voilà pourquoi les chevaux, traumatisés par les coups multiples, exécutent des figures improbables. Les deux percherons gris pommelé au premier plan sont magnifiés par un jeu de lumière mettant en valeur leur forte encolure et leur croupe vigoureuse détail b. Les deux animaux au centre sont en train de se cabrer. Seul l’un de leurs sabots touche le sol détail b : l’artiste accentue ainsi leurs attitudes énergiques.
Ces animaux puissants sont destinés à être achetés pour l’attelage. Rosa Bonheur connaît parfaitement les différentes postures dans l’allure de chacun. Elle travaille avec une rigueur scientifique. Rien n’est oublié, pas même les petits nuages de poussière soulevés par le martèlement des sabots, sur un sol pavé qui laisse imaginer le vacarme. La grande rangée d’arbres formant la ligne de fuite à droite est réservée au public, et resserre l’espace du tableau vers le premier plan où se concentre l’agitation détail c.
Études en abattoir et sur les marchés
Rosa Bonheur étudie les animaux dans deux lieux à Paris : les abattoirs du Roule, pour étudier l’anatomie des animaux, et les marchés aux chevaux. La scène du Marché aux chevaux image principale se déroule boulevard de l’Hôpital à Paris, non loin de l’hospice de la Salpêtrière, visible sur la gauche à l’arrière-plan détail d. C’était là le plus gros marché de la capitale. Chaque samedi, pas moins de 800 chevaux y étaient présentés. Deux fois par semaine, pendant un an, Rosa s’y rend pour observer et dessiner les animaux, afin de comprendre les muscles, les tendons et les ligaments qui font saillie sous la peau. Par coutume, ces lieux sont interdits aux femmes. Ce sont les hommes qui s’occupent du commerce des bovins et des chevaux. De plus, le port du pantalon étant proscrit pour les femmes au XIXe siècle, Rosa trouve la solution qui lui permet d’effectuer ses études sans être dérangée : elle demande une autorisation « de travestissement » à la préfecture de police, qui lui est remise pour raison de santé. Ainsi, elle n’a plus besoin de porter d’encombrantes jupes traînant dans le sang des abattoirs.
Une femme de caractère
Âgée de 77 ans dans ce portrait d’Anna Elisabeth Klumpke image 1 Rosa Bonheur est représentée assise dans un fauteuil, dans une attitude déterminée. Généralement vêtue d’un pantalon, elle porte ici le costume de ses sorties officielles : casaque (veste ample) à brandebourgs et longue robe sombre. Aucun bijou ne vient relever l’austérité de cette tenue, si ce n’est le ruban rouge de la Légion d’honneur qu’elle a reçu des mains mêmes de l’impératrice Eugénie le 10 juin 1865, directement chez elle, à By. Elle a été la première femme artiste à obtenir cette distinction. Seul rappel de ses activités de peintre, un carton à dessin légèrement entrouvert est appuyé contre le fauteuil. L’artiste tient contre elle Charley, son yorkshire préféré, dont les yeux rieurs apparaissent sous la touffe de poils. L’animal est pétillant d’énergie.
Anna Klumpke accentue ici le contraste discret entre le caractère protecteur de Rosa et l’abandon confiant du chien. Le tableau témoigne de l’affection que Rosa Bonheur porte aux animaux depuis sa plus tendre enfance. En 1841, son premier tableau montrant des Lapins est remarqué par la presse et marque le début de sa carrière de peintre. Rosa Bonheur a alors 19 ans.
La peinture animalière
Au XVIIe siècle dans les Flandres s’affirme un genre nouveau : la peinture animalière. L’animal n’a plus une valeur de symbole ou d’emblème, mais il est représenté pour lui-même image 2. Au XVIIIe siècle, d’autres artistes s’en sont fait une spécialité, comme Jean-Baptiste Oudry image 3. En Grande-Bretagne à cette époque, les peintres animaliers s’imposent, avec des artistes comme Georges Stubbs et Edwin Henry Landseer. L’essor du genre animalier se poursuit au XIXe siècle, mais sa reconnaissance se concrétise tardivement en France, avec la constitution en 1912 de la Société des artistes animaliers et, en 1913, l’ouverture du premier Salon des artistes animaliers.
Longtemps tenue pour mineure, la sculpture animalière connaît son apogée pendant la première moitié du XXe siècle avec François Pompon. L’animal peut désormais être le sujet principal de l’œuvre. Quant à Rosa Bonheur, elle suit le mouvement réaliste porté par Gustave Courbet et développe un style naturaliste animalier marqué par la précision du dessin et par un coloris clair.
Femme libre et artiste, Rosa Bonheur a dû s’imposer dans une société masculine. Bien que la gent féminine n’ait pas le droit d’accès à l’École des Beaux-arts, cette artiste réussit l’exploit de devenir la plus scientifique, la plus naturaliste de tous les peintres animaliers.
Mots-clés
Antonella Colé
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-marche-aux-chevaux
Publié le 09/09/2025
Ressources
La notice de l’œuvre sur le site web du Metropolitan
Un dossier sur Rosa Bonheur par les archives départementales de Seine-et-Marne
https://archives.seine-et-marne.fr/fr/marie-rosalie-bonheur-1822-1899-dite-rosa-bonheur
Le site web du château de By
Un épisode de l’émission "Une vie, une œuvre" consacré à Rosa Bonheur sur France Culture
Un dossier pédagogique du musée de Bordeaux
https://www.musba-bordeaux.fr/sites/bor-musba-drupal/files/2025-06/MusBA_Dp_RosaBonheur2022.pdf
Glossaire
Brandebourgs : Garniture ou passement d’une veste, dont les boutons en olive sont reliés par des galons.
Réalisme : Courant artistique du XIXe siècle qui privilégie une représentation non idéalisée de sujets inspirés du monde réel. Le peintre Gustave Courbet en est la figure de proue, et son tableau Un enterrement à Ornans, exposé en 1855, le premier manifeste.