Le Prêteur et sa femme Metsys Quentin
Le Prêteur et sa femme
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Tout cela ne parle-t-il que d’argent ?
Au tout début du XVIe siècle, Quentin Metsys est un peintre renommé d'Anvers image 7, la plus riche ville flamande de l'époque. Auteur de tableaux religieux image 1 et remarquable portraitiste, il est aussi le principal initiateur de la peinture de genre en Belgique.
Un sujet révélateur de la richesse d'Anvers au XVIe siècle
Dans ce tableau image principale, le peintre représente un changeur et son épouse dans leur boutique, assis derrière une table couverte d'un tapis vert.
À gauche, l'homme, en habit bleu sombre et chaperon noir, est occupé à peser une pièce d'or sur un trébuchet pour en déterminer la valeur son épouse, assise à droite, a interrompu sa lecture pour observer le geste de son mari. La profession de changeur est alors très répandue à Anvers : la ville possède le principal port nordique de commerce avec le sud de l'Europe, fréquenté par de nombreux marchands étrangers. Leurs monnaies d'or, variant selon leurs pays d'origine, sont évaluées en Flandres en fonction de leur poids. Devant notre changeur se trouvent ainsi des pièces d'or françaises, allemandes, italiennes et anglaises détail e.
Mais l'homme est probablement aussi un prêteur, comme en témoignent, posés devant lui, des objets précieux pouvant être échangés contre des espèces monétaires détail b : un hanap en verre ou en cristal à monture orfévrée, des perles et des bagues enfilées sur un rouleau de papier.
Au tout premier plan, un petit miroir rond et bombé reflète une partie de la pièce qui échappe à l'œil du spectateur. On y voit un homme en rouge qui lit à côté d'une fenêtre donnant sur la ville.
Juste derrière le couple détail c, le mur du fond présente deux étagères supportant différents objets, dont des parchemins. C'est dans le texte de l'un d'entre eux que l'artiste a dissimulé sa signature et la date d'exécution de cette peinture : Quinten Matsys / Schildert (« a peint ») 1514.
Une scène de genre moralisante fourmillant de symboles
On perçoit dans le regard de la femme une forme de détachement par rapport aux richesses matérielles qui s'étalent sous ses yeux.
Son livre de prières, dont une des pages présente une Vierge à l'Enfant, témoigne de son intérêt pour la religion. L'éclairage et les couleurs mettent en valeur la femme et ses aspirations spirituelles : son visage est en pleine lumière quand celui de son mari est à moitié dans l'ombre, et ses vêtements présentent des teintes plus vives et lumineuses que ceux de son époux.
Ses espérances semblent s'en remettre plutôt à la personne de la Vierge Marie. Son livre en atteste détail c, ainsi que certains objets disposés sur l'étagère derrière elle qui renvoient à la symbolique mariale détail d : la carafe et les perles, dont la transparence fait allusion à la pureté, ainsi que le fruit, symbole du péché originel dont Marie a été épargnée. On retrouve souvent cette association de symboles dans la peinture médiévale, notamment dans L'Annonciation peinte par Rogier Van der Weyden image 2 image 3.
La bougie éteinte rappelle quant à elle la brièveté de la vie.
D'autres éléments peuvent évoquer le Jugement dernier : le trébuchet au centre de l'attention des personnages, et le miroir convexe qui reflète l'espace tout autour et qui est souvent comparé à l'œil de Dieu, capable de tout voir.
Cette peinture n'est donc pas une simple scène de genre : elle engage à une réflexion sur la vanité des biens terrestres.
L'influence de Jan Van Eyck
Le miroir est certainement l'un des éléments les plus remarquables du tableau. Non seulement il constitue une prouesse technique qui témoigne d'une maîtrise parfaite de la perspective, mais il nous invite également à nous interroger sur ce qu'il se passe hors champ.
Ce motif avait été utilisé par Jan Van Eyck dans son célèbre Portrait des époux Arnolfini.
Il révèle l'influence de ce peintre sur Quentin Metsys.
Par ailleurs, on sait que Jan Van Eyck avait réalisé une scène du même type, aujourd'hui, perdue, représentant un patron faisant ses comptes avec son employé. Quentin Metsys s'en est très probablement inspiré.
Cette influence explique que le costume de la femme ne corresponde pas à l'époque du peintre, mais plutôt à celle de Jan Van Eyck : la même robe rouge à ceinture haute et revers en fourrure et le même genre de voile blanc apprêté se retrouvent dans un portrait que ce dernier avait peint de son épouse Marguerite.
Après Quentin Metsys, de nombreux peintres nordiques (néerlandais) reprendront le sujet de cette peinture, mais donneront souvent aux personnages une expression cupide à la limite de la caricature image 6.
Avec ce tableau, Quentin Metsys s'inscrit dans la lignée des grands peintres flamands de la fin du Moyen Âge désireux d'intégrer la religion dans la réalité quotidienne : comme ses prédécesseurs, il intègre dans ses peintures des objets de la vie courante souvent porteurs d'une signification religieuse et les décrit minutieusement, soignant particulièrement le rendu tactile ou la transparence des matières dans un clair-obscur maîtrisé. On note également dans ses œuvres un intérêt tout particulier pour la psychologie des personnages, correspondant à une démarche humaniste caractéristique des débuts de la Renaissance.
Sylvie Cuni-Gramont
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-preteur-et-sa-femme
Publié le 09/07/2022
Ressources
La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre
Glossaire
Scène de genre : Sujet de peinture qui présente la vie quotidienne en famille et en société.
Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.
Jugement dernier : Dans la religion chrétienne, jugement prononcé par Dieu à la fin du monde sur les vivants et sur les morts ressuscités.
Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.
Peinture de genre : Peinture représentant une ou plusieurs personnes anonymes dans une scène de la vie quotidienne.
Chaperon : Coiffure de tissu enroulé portée au Moyen Âge.
Trébuchet : Petite balance portative à fléau.
Hanap : Grand vase à pied et couvercle.