Le Trois mai 1808 Goya Francisco de

Le Trois mai 1808 dit aussi Les Exécutions

Dimensions

H. : 268 cm ; L. : 347 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1814

Lieu de conservation

Espagne, Madrid, musée du Prado

Comment Goya parvient-il à transmettre un message politique grâce à la peinture ?

El tres de mayo image principale est un chef-d’œuvre de la peinture, que l’on peut considérer comme le premier tableau « engagé » de l’histoire de l’art. Son auteur, Francisco de Goya, est le plus grand représentant de la peinture espagnole de la seconde moitié du XVIIIeet du début du XIXe siècle. Après avoir commencé une brillante carrière en 1776 à Madrid, il est nommé peintre de la Chambre en 1789, au service des rois Charles III puis Charles IV. Ses portraits fascinent par l’acuité psychologique qu’il donne à ses modèles image 1. Des années plus tard, la guerre d’indépendance espagnole qui survient en 1808 fait naître chez Goya un sentiment patriote et antifrançais qui le pousse à témoigner des événements. C’est ainsi que six ans après le conflit, il peint El tres de mayo, qui en relate un épisode tragique.

Un contexte historique dramatique

En 1807, sous l’Empire, les troupes françaises entrent en Espagne dans le but de soumettre et de morceler le Portugal, allié de l’Angleterre. L’installation durable des Français amène l’abdication du roi Charles IV, auquel succède son fils Ferdinand VII. Ce dernier abdique à son tour et cède le trône d’Espagne à Joseph Bonaparte, le frère de Napoléon, en juillet 1808. Un soulèvement populaire a lieu à Madrid le 2 mai 1808. C’est le début d’une longue guerre de résistance à l’occupant. Les Français, avec Murat à leur tête, découvrent alors une nouvelle forme de combat : la guérilla. Des armées de patriotes se constituent dans toute l’Espagne, attaquent par surprise les troupes françaises qui sont peu à peu débordées. Ces scènes terribles de guerre et de répression inspirent à Goya la série de gravures des Désastres de la guerre image 2 . Après six ans de conflit, Napoléon accepte de signer un traité de paix en 1814 et reconnaît Ferdinand VII comme roi d’Espagne. Goya propose alors au gouvernement provisoire de peindre « les actions les plus remarquables et les plus héroïques de notre glorieuse insurrection contre le tyran de l’Europe ». Il réalise deux grands tableaux de taille identique (266 × 345 cm) : El dos de mayo image 3  et El tres de mayo (Los fusilamientos en la montagna del Principe Pio) image principale . Ces deux toiles sont conçues comme un diptyque évoquant le déclenchement de la rébellion et la répression qui s’ensuit. On ne sait pas si Goya a assisté directement à ces scènes ou s’il a travaillé d’après des témoignages.

Un manifeste politique

El dos de mayo image 3 évoque un épisode qui a lieu à Madrid le matin du 2 mai 1808. Les habitants ont appris que la famille royale est retenue prisonnière à Bayonne et que l’infant Francisco de Paula va quitter le palais royal pour les rejoindre en exil. Pour empêcher ce départ, ils s’attaquent à la garde impériale, armés de couteaux. Ils tuent un mamelouk, entraînant une violente riposte des cavaliers français. La composition du tableau est dense et dynamique.

À l’opposé, la toile du Tres de mayo image principale  présente une composition en frise plus classique. Les faits se passent à l’aube du 3 mai. En représailles à la révolte, toutes les personnes susceptibles d’y avoir participé, environ quatre cents, sont arrêtées et condamnées à être fusillées. Cette fois, le tableau ne représente pas une scène de combat, mais l’exécution de civils espagnols par les soldats français victorieux. Ces derniers, de dos, ne montrent pas leurs visages, accentuant l’inhumanité de leur acte. À l’arrière-plan, leurs uniformes sombres se fondent dans le paysage nocturne. À l’inverse, les condamnés sont en pleine lumière. Certains sont déjà à terre, d’autres s’agitent, exprimant leur peur et leur désespoir. Le sang fait une large tâche rouge sur le sol image b. Le personnage central est fortement éclairé en jaune par la lanterne posée à terre image c image d. Il porte une chemise blanche et un pantalon clair. Son attitude attire l’attention : agenouillé face aux soldats, il lève les bras en signe de soumission, un geste qui rappelle symboliquement la posture du Christ en croix et nous invite à la compassion image c. Goya présente les condamnés comme les victimes d’une oppression injuste et associe leur sacrifice à celui des martyrs chrétiens. Cette idée est renforcée par la présence d’un moine en prière parmi eux image c et celle d’une église à l’arrière-plan image e.

Goya, précurseur du romantisme

Le thème du tableau se rattache au genre noble de la peinture d’histoire, mais Goya choisit comme sujet un épisode contemporain qui le touche. Il se place du côté des victimes, anonymes comme leurs bourreaux. Il partage ses sentiments de colère et d’indignation. Sa toile est un cri de protestation contre la cruauté humaine, qu’il montre de façon réaliste. Contrairement à la tendance dominante néoclassique, Goya privilégie la couleur par rapport au dessin et à la perspective, l’expressivité par rapport à l’harmonie. Sa technique libre, par touches, rappelle celle de son aîné Velázquez (1599-1660).

En exprimant ses idées politiques avec fougue et spontanéité, Goya inaugure le mouvement romantique. Le maître espagnol fait d’ailleurs l’admiration de Delacroix, qui connaissait essentiellement ses gravures. El tres de mayo a une valeur symbolique universelle. Le tableau deviendra une source d’inspiration pour Édouard Manet lorsqu’il peint en 1868 L’Exécution de Maximilien image 4 et pour Pablo Picasso avec Massacre en Corée de 1951 

 

Los fusilamientos de Francisco de Goya - Vidéo du Museo Nacional del Prado, en espagnol, sous-titre anglais

Une évocation historique des deux tableaux de Goya

Colette Féraudet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-trois-mai-1808

Publié le 06/01/2023

Ressources

"Le Trois mai 1808", une étude sur le site de L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/etudes/trois-mai-1808

"Le Deux Mai 1808", une étude sur le site de L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/etudes/deux-mai-1808-madrid

"La Famille de Charles IV", une étude sur le site de L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/etudes/famille-charles-iv

"Les Désastres de la guerre", à découvrir sur Gallica (BNF)

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3041918s/f7.planchecontact

Glossaire

Pendant : on dit d'une œuvre qu'elle est un pendant quand elle a été réalisée pour répondre à une autre œuvre dans sa forme et dans son sujet.

Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.

Mamelouk : membres d’une milice formée d’esclaves affranchis au service de différents souverains musulmans, cette milice a occupé le pouvoir en Égypte et en Syrie. Pendant la campagne d’Égypte, une partie d’entre eux se rallient à Bonaparte et le suivent en France. En 1807, ils forment un escadron de la garde impériale.