Les Massacres du Triumvirat Caron Antoine
Les Massacres du Triumvirat
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Quel événement tragique le peintre Antoine Caron nous décrit-il ?
Dans ce tableau en trois panneaux image principale, de multiples personnages s’animent dans un décor monumental inspiré de l’Antique qui les domine. La violence qui s’y déchaîne évoque les massacres qui jalonnent l'histoire.
Une scène de massacre
Peint en 1566, signé et daté à gauche sur l’escalier (l’inscription, lisible en 1823, est aujourd’hui en partie effacée), le tableau évoque les massacres romains image principale de 43 av. J.-C. Ce sujet tragique est inspiré du récit Des guerres des Romains par l’historien antique Appien, qui décrit « les massacres cruels et inhumains faits à Rome en l’an 711 par le triumvirat d’Octavius César, Antoine et Lépide ». Le texte est traduit en français par Claude de Seyssel au XVIe siècle, et Caron s’en est certainement inspiré pour composer ce tableau. Au fond, les triumvirs détail b (« trois hommes », en français) apparaissent dans le Colisée détail c et, devant eux, la tête de Cicéron, plantée sur une pique détail b. Le premier plan montre le massacre proprement dit avec des victimes fuyant ou suppliant détail d. Un homme se jette dans un puits détail e, d’autres se cachent dans les souterrains détail d, ou bien courent sur les toits ou se précipitent dans le vide détail f. Au premier plan, des têtes coupées sont méticuleusement alignées détail g.
Le peintre prend grand soin de détailler ces scènes de cruauté. Une femme au premier plan à droite est vêtue à la mode du XVIe siècle et tourne le dos aux tyrans détail g. Elle adresse sa prière au spectateur. Celui-ci n’a pas le pouvoir de sauver les proscrits, mais doit réfléchir au devoir moral de préserver sa cité des oppresseurs. Caron peint ces massacres comme la conséquence d’un mauvais gouvernement.
Triumvirat et la proscription
Le XVIe siècle est l'époque de la renaissance de l'Antiquité. Il redonne toute son importance à la civilisation grecque et latine. Nous l'appelons plus simplement aujourd'hui « Renaissance ». La littérature, la peinture, la sculpture, l'architecture vont puiser leurs sources et leurs modèles dans l'histoire romaine. La cité de Rome a connu divers régimes politiques (république, empire), parfois instables. Jules César briguait la royauté : c’est pour cette raison qu’il est poignardé en 44 av. J.-C. Pour lui succéder, une alliance est scellée entre son lieutenant Marc-Antoine (ou Antoine), son fils adoptif Octave, et son maître de cavalerie Lépide. Ils forment le second triumvirat qui s'oppose aux républicains (Brutus et Cassius) à l'origine du complot contre César. Ils se répartissent les territoires et les armées romaines. Le triumvirat instaure la proscription (épuration politique sans jugement). Il pourchasse ses opposants, fait régner la terreur, procède à des exécutions sommaires. L'une des victimes est l'orateur Cicéron, tué en décembre 43. Sa tête est promenée sur une pique au centre du tableau détail b.
Un décor antique
Caron n’est sans doute pas allé à Rome, mais il connaît l’architecture romaine par les gravures. Il mêle les constructions antiques (le Colisée image 1 détail c) et les bâtiments modernes (la place du Capitole image 2 détail f). La ville qu’il peint ne correspond pas au plan de Rome image 3. Caron organise sa composition en plaçant les monuments de façon à créer une perspective et un décor à l'antique pour installer cet épisode de l'histoire de Rome. On identifie, sur le panneau de gauche, l’arc de triomphe de Septime Sévère surmonté des Dioscures, le palais Massimo, le château Saint-Ange, la colonne Trajane et, au premier plan, l’Apollon du Belvédère détail h.
Sur le panneau central, on voit le pont Saint-Ange, le Panthéon encadré de l'obélisque et du Septizonium, un monument construit en 203 sous l’empereur romain Septime Sévère. Devant, le Colisée dont les galeries (en couple) sont visibles à droite et au centre duquel siège le triumvirat détail c. Plus à droite, l'arc de Titus détail c. Au premier plan est reproduit l’escalier elliptique du château français d’Anet détail d, contemporain de Caron.
Sur le panneau de droite, on peut distinguer l’obélisque, le temple d’Auguste, les palais Renaissance autour de la place du Capitole et la statue équestre de Marc Aurèle. L’artiste place au premier plan une statue de l’empereur Commode en Hercule portant l’enfant Télèphe détail i.
La juxtaposition des monuments antiques et des monuments de la Renaissance crée un décor imaginaire.
Un peintre parisien cultivé
Antoine Caron est un peintre maniériste de l’époque de la Renaissance. Il peint des tableaux religieux, historiques et allégoriques et crée des cartons de vitraux ou de tapisseries comme la Tenture des Valois, conservée aux Offices de Florence. Il illustre l’Histoire de la reine Artémise de Nicolas Houël entre 1563 et 1570. Ces dessins image 4 serviront ensuite de cartons de tapisserie au XVIIesiècle . Il rejoint l’École de Fontainebleau entre 1540 et 1550, où il côtoie Primatice et Nicolò dell’Abbate. S’inspirant de l’art bellifontain, il reprend le canon allongé italien, la gestuelle éloquente, le mouvement et le dynamisme. Ses tableaux prennent un aspect étrange par la composition, la vivacité des coloris et par les architectures réalistes mêlées à des ruines romaines. Comme Nicolò dell’Abbate, il représente des personnages très petits dans des scènes immenses image 5. Son style se caractérise par l’habileté du dessin et par la gaieté des couleurs claires et acidulées.
Le peintre acquiert une excellente réputation qui lui vaut de nombreuses commandes, comme les Funérailles de l’Amour image 6 et La Sibylle de Tibur image 7. En 1561, il est peintre de cour du roi Henri II et de la reine Catherine de Médicis, et travaille aussi pour Diane de Poitiers, la favorite royale, qui réside à Anet. L’artiste, né dans une famille aisée, peint des scènes savantes reflétant la cour sophistiquée et raffinée des derniers Valois.
Un contexte religieux tendu
Depuis 1562 et le massacre de Wassy, un climat de guerre civile règne en France entre les partisans de la religion réformée et ceux de la religion catholique, qui mènera au massacre de la Saint-Barthélemy 24 août 1572. Toutefois, le tableau de Caron ne peut faire allusion à la Saint-Barthélemy, postérieure de six ans à notre peinture. La scène fait certainement un parallèle entre le triumvirat de Rome et celui de France. Trois personnalités puissantes du royaume, le connétable Anne de Montmorency, le maréchal de Saint-André et François, duc de Guise, s’allient en 1562 et prennent la tête d’une ligue catholique contre le protestantisme qui s’oppose à la politique d’apaisement de la reine mère Catherine de Médicis. L’alliance se délite par la mort de Saint-André à la bataille de Dreux en décembre 1562 puis par l’assassinat du duc de Guise à Orléans en 1563. Les guerres de religion dureront 36 ans et s'éteindront en 1598 avec l’édit de Nantes, après de sanglants massacres.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir de nombreux artistes reprendre le thème iconographique du Triumvirat et de la guerre civile romaine. Cette violence se retrouve chez Jean de Gourmont, Nicolò dell’Abbate image 5 ou François Dubois.
La peinture n'est pas très documentée. Elle aurait été peinte sur bois, transposée sur toile puis séparée en trois panneaux pour former un paravent. C'est sous cette forme que le marquis de Jaucourt l'acquiert à Londres en 1913 et l'offre au Louvre en 1939.
Marie-Bélisandre Vaulet-Lagnier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/les-massacres-du-triumvirat
Publié le 15/12/2025
Ressources
Glossaire
École de Fontainebleau : Style élaboré au château de Fontainebleau à partir de 1530 par les artistes italiens (Rosso Fiorentino, le Primatice) travaillant pour le roi François Ier. Ce style de cour raffiné, à la fois érudit et sensuel, est un des courants du maniérisme et se manifeste dans tous les domaines artistiques. Il a influencé les artistes français et a été largement diffusé par la gravure.
Maniérisme : Courant artistique né en Italie au XVIe siècle que l’on considère comme la dernière phase de la Renaissance. Il tire son nom du mot italien maniera utilisé pour désigner le style personnel d’un artiste. Pour les peintres qui se rattachent à ce courant, l’effet de style prime sur l’équilibre et l’harmonie. Ils se distinguent par une élégance du dessin, des compositions complexes privilégiant tensions et déséquilibres, une distance par rapport à l’imitation servile de la nature.
Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.