Panneaux pour la baraque de la Goulue Toulouse-Lautrec Henri de

La Danse au Moulin rouge

Dimensions

H. : 298 cm ; L. : 316 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1895

Lieu de conservation

France, Paris, musée d’Orsay

Ces panneaux sont-ils des tableaux ?

En 1895, Henri de Toulouse-Lautrec peint deux gigantesques panneaux pour une de ses amies de Montmartre, la Goulue. Il y met en scène deux moments de la carrière de cette danseuse de french cancan image principale image b, à sa demande.

La baraque de la Goulue

La Goulue loue un emplacement à la Foire du Trône en 1895 et fait construire une baraque dans laquelle elle pratique la danse du ventre, un genre devenu populaire à la suite de l’Exposition universelle de 1889. Les pavillons du Maroc et de l’Égypte proposaient à cette occasion des démonstrations avec des almées (femmes artistes orientales). L’érotisme et l’exotisme de ces spectacles à grand succès inspirent la Goulue. Cette dernière demande à Toulouse-Lautrec de peindre deux toiles exposées à l’extérieur de la baraque - ce qui explique la décoloration de l’œuvre –, de chaque côté de la porte d’entrée.

Ce travail de Lautrec est autant un projet de panneau décoratif qu’une enseigne publicitaire pour attirer les badauds aux spectacles de la Goulue. Le peintre a l’expérience des affiches et applique ce style visuel aux formats monumentaux des deux compositions. Il a rencontré la danseuse dix ans auparavant au bal populaire du Moulin de la Galette et l’a déja représentée à plusieurs reprises, en particulier sur une affiche publicitaire pour le bal du Moulin-Rouge image 1 où elle tient la vedette avec son comparse le danseur Edme Étienne Jules Renaudin, surnommé Valentin le Désossé pour ses talents de contorsionniste.

Lautrec, un peintre résolument moderne

Sur le panneau de gauche image principale, la Goulue est représentée à l’époque de sa gloire au Moulin-Rouge. Sur celui de droite image b, c’est sa nouvelle prestation à la Foire du Trône, dans une ambiance orientaliste, qu’elle demande à son ami peintre de représenter. Lautrec utilise ici une toile assez grossière, non préparée, et laissée en réserve entre les personnages et les éléments de mobilier, comme souvent dans ses œuvres réalisées sur carton.

Dans le panneau La Danse au Moulin-Rouge image principale, la Goulue est le personnage principal, mis en valeur par ses vêtements colorés : jupe verte et corsage à rayures roses. Elle se détache sur une harmonie de bruns. Le trait est rapide et incisif. Quelques lignes suffisent à insuffler vie et dynamisme aux personnages. Pour caractériser la silhouette de Valentin, le partenaire de la Goulue, le peintre, d’un geste rapide, traduit sa souplesse et son agilité : le danseur se prépare à exécuter un grand écart. L’artiste souligne le contraste existant entre la silhouette de la Goulue et celle de Valentin. Les rondeurs de la Goulue sont accentuées par sa position jambes pliées, par les formes circulaires de sa jupe remontant derrière la tête et par la courbe soulignant sa poitrine. On la reconnaît à son ruban de cou noir et à son chignon roux détail c.

Le décor peint est minimaliste : les cercles clairs dans la partie supérieure de la toile évoquent les globes lumineux éclairant le Moulin-Rouge. La tribune du chef d’orchestre, en haut à droite, est aussi sobrement représentée. Cette composition, chère à Lautrec, montre son intérêt pour les paravents japonais, par la façon d’équilibrer les pleins et les vides. Sa signature en monogramme s’inspire aussi des cachets des artistes japonais détail d. Comme son ami Degas, il porte un regard nouveau sur une certaine réalité du monde de la nuit parisienne.

Dans le panneau de La Danse mauresque image b, le premier plan est occupé par le dos des spectateurs admirant la Goulue exécuter son cancan, en hauteur sur une estrade. Elle est encadrée par les artistes qui participent au spectacle : à gauche un pianiste semblant jouer une musique endiablée et à droite des tambourinaires de type oriental assis en tailleur. Des volutes roses emplissent l’espace détail e.

Les spectateurs sont reconnaissables. À gauche, Lautrec a peint au fond le photographe Paul Sescau, qui a pris des photos de ses tableaux pour les présenter à des galeristes ; puis, de profil, Maurice Guibert, représentant en champagnes, photographe et peintre amateur ; enfin le docteur Gabriel Tapié de Céleyran, son cousin germain et confident détail e.

Au premier plan et nous tournant le dos est représentée la danseuse Jane Avril, avec son chapeau décoré de plumes détail e, assise à gauche de Lautrec, reconnaissable à sa petite taille, son chapeau melon et son écharpe. À ses côtés se trouvent l’écrivain Oscar Wilde détail e et, de profil, à droite, Félix Fénéon, journaliste et critique d’art, tous deux représentants d’un milieu littéraire d’avant-garde que le peintre fréquente à l’époque détail f.

L’ascension de la Goulue

La Goulue, Louise Weber de son vrai nom image 2, est née en 1866 d’une famille modeste. Elle devient vite indépendante et exerce des petits métiers (blanchisseuse, modèle pour les peintres de la butte Montmartre, prostituée). Son plaisir est de danser dans les bals de quartier du nord de Paris comme le Moulin de la Galette, qu’Auguste Renoir prit pour décor de son célèbre Bal du Moulin de la Galette en 1876 image 3.

Deux soirs par semaine et le dimanche, les ouvriers et les employés du quartier s’y retrouvent pour se détendre et danser entre amis. Les bons danseurs s’y font remarquer par des improvisations chorégraphiques. C’est ainsi que naît le cancan, ou chahut, à Paris dans les années 1830. Les meilleurs d’entre eux sont engagés dans des bals-spectacles fréquentés par une clientèle plus fortunée. C’est de cette façon que la Goulue commence sa carrière à l’Élysée-Montmartre en 1882.

Lorsque, en marge de l’Exposition universelle de 1889, le Moulin-Rouge, un cabaret parisien situé boulevard de Clichy, ouvre ses portes, la Goulue devient l’une de ses vedettes les plus prisées. Elle tient son surnom de son appétit et de son habitude de finir les verres des clients. La danseuse remet à l’honneur le cancan en le rendant plus excentrique. Elle invente une figure jugée osée à l’époque, appelée la guitare, que l’on observe dans le panneau de la Danse mauresque image b : elle tient sa jambe levée par le pied, et il faut l’imaginer tournoyer sur elle-même.

En 1895, la Goulue est âgée de 29 ans et, sa renommée déclinant, elle décide de monter son propre spectacle à la foire du Trône. La Goulue est obligée de revendre sa baraque de la foire du Trône six mois après son ouverture. Les deux toiles vendues en 1900 passent alors entre différentes mains et sont parfois exposées, par exemple au Salon d’automne de 1904. En 1926, le marchand Hodebert les découpe en huit fragments principaux. Chacun est alors monté sur un châssis et encadré. La Goulue, qui était devenue dompteuse de lions par la suite, meurt dans une roulotte sur la zone de Saint-Ouen, à l’âge de 63 ans en 1929 image 4. La même année, l’État achète les huit fragments puis les chutes manquantes. L’ensemble pourra enfin être restauré.

Une tombe dressée en 1991 dans le cimetière de Montmartre conserve le souvenir de la figure montmartroise de la Goulue.

Valérie Doyen

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/panneaux-pour-la-baraque-de-la-goulue

Publié le 27/09/2024

Ressources

"Il était une fois La Goulue", sur le site web de La Ville de Paris

https://www.paris.fr/pages/il-etait-une-fois-la-goulue-en-podcast-24451

La baraque de la Goulue et le bal Bullier, L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/etudes/baraque-goulue-bal-bullier

Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque, La Goulue et Grille d'égoût, , L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/etudes/femmes-frissons-plaisir-belle-epoque

Toulouse-Lautrec, un documentaire de la chaîne Toute l’Histoire, 52 mn

https://www.youtube.com/watch?v=PIMqftupuS8

Dossier pédagogique de l’exposition "Toulouse-Lautrec. Résolument moderne" au Grand Palais, 2019

https://www.grandpalais.fr/pdf/Dossier_Pedagogique_ToulouseLautrec.pdf

Glossaire

Réserve : Technique qui consiste, en peinture et en sculpture, à ne pas travailler toute la surface. La partie non travaillée est laissée « en réserve ».