Plat au paon

Plat au paon

Auteur

Dimensions

D. : 37,4 cm

Provenance

Lieu de création : Turquie, Iznik

Technique

Céramique

Matériaux

Pâte siliceuse, décor peint sur engobe sous glaçure transparente

Datation

1540-1555

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment les céramiques d’Iznik sont-elles fabriquées et ornées ?

Ce grand plat d’origine turque date du XVIe siècle image principale. Il intrigue par son décor révélant un paon étrangement bleu pâle au milieu d’une végétation très grande par rapport à lui.

Un oiseau de paradis

Représenté au centre du plat détail b, l’oiseau montre un plumage évoquant de longues écailles sur le corps et des éléments ocellés sur la queue. Sa patte gauche s’agrippe à la tige d’une énorme fleur vers laquelle il tourne sa petite tête à la fine aigrette. Cette grosse fleur détail b, aux pétales gris-vert faisant penser eux aussi à des écailles, est difficile à identifier : peut-être une fleur d’artichaut, une pomme de pin, une grenade. Elle est entourée d’autres végétaux également stylisés, surtout de grandes roses épanouies. Du pied de la tige, partent cinq petites violettes et une frêle tulipe détail c.

La patte droite du paon repose sur l’extrémité d’une feuille courbe et mince d’un bleu soutenu, dont d’autres exemplaires scandent le décor. Celle-ci rappelle l’arabesque formée par le corps et la queue du paon. Ces feuilles sont superposées à des fleurs, introduisant un effet de profondeur dans cette composition végétale. Cette dernière déploie audacieusement ses tiges sans interruption jusque sur le pourtour du plat, sans tenir compte du passage du creux au rebord où certains motifs floraux sont même interrompus par le bord chantourné détail d.

Dans la culture et l’art islamiques, le paon est l’oiseau associé à la royauté, mais aussi au paradis image 1 ; les merveilleuses couleurs révélées par sa queue quand elle se déploie renvoient à la complexité mystérieuse des beautés naturelles créées par Dieu.

La céramique d’Iznik

Cette large coupe a été réalisée au XVIe siècle, dans l’Empire ottoman alors gouverné par le célèbre sultan Soliman le Magnifique image 2. Elle a été fabriquée à Iznik image 5, dans une région de l’Ouest anatolien où se trouvent une argile très fine et de grandes forêts pouvant fournir du bois aux fours des potiers. Ces derniers, au XVe siècle, créent une pâte composée d’un peu d’argile, d’une grande quantité de silice, et de fritte très riche en plomb. Une fois façonnée et sèche, elle est recouverte d’une mince couche de pâte similaire mais très diluée et très blanche, car soigneusement purifiée. Cet « engobe » reçoit, lui aussi après séchage, un décor peint qui, une fois sec à son tour, est recouvert d’un vernis transparent, la « glaçure ». Au terme d’une cuisson d’une dizaine d’heures à environ 900 degrés, l’objet obtenu (pièce de vaisselle ou carreau de revêtement mural) présente un fond de décor d’une blancheur parfaite et une brillance extraordinaire.

Un monde de fleurs

Le décor de la céramique d’Iznik s’inspire essentiellement des fleurs appréciées à la cour ottomane, notamment la rose, bien ronde et aux pétales nombreux, l’œillet, la jacinthe et surtout la tulipe, représentée très effilée. C’est la fleur emblématique des sultans : le règne d’Ahmed III, au XVIIIe siècle, est appelé « ère des Tulipes ». En turc, tulipe se dit lale, mot dont les lettres en arabe sont l’anagramme de Allah et de hilal, le « croissant de lune », emblème de l’Empire ottoman. Le répertoire floral de la céramique d’Iznik présente aussi des espèces chinoises, comme la pivoine ou la fleur de lotus, car les Ottomans admirent la porcelaine arrivant de Chine par les routes de la soie et s’en inspirent pour leur céramique.

À ces fleurs s’ajoutent des feuillages, et notamment, comme sur notre objet, de longues feuilles incurvées et dentelées, typiques du style saz : ce mot turc évoque une forêt merveilleuse et touffue, peuplée d’êtres fabuleux. Il caractérise un genre de décor développé dans les ateliers de peinture du palais de Soliman à Istanbul et appliqué aussi dans l’art des textiles ou des tapis image 3. Il correspond bien au raffinement et à la stylisation de l’ornementation végétale de ce plat, qui joue sur l’invraisemblance des proportions et des coloris. Ainsi, les feuilles saz sont colorées en deux tons d’un bleu intense.

Un chromatisme déroutant

La céramique d’Iznik utilise des couleurs faites à partir d’oxydes métalliques. À ses débuts (fin du XVe siècle), elle privilégie le bleu, issu d’oxydes de cobalt, qui, sur le fond immaculé, rappelle certaines porcelaines chinoises. À l’époque de Soliman, période d’apogée des ateliers d’Iznik, et pendant laquelle ce plat est créé, apparaissent de nouvelles teintes, dont le turquoise, le vert grisé (toutes deux utilisant des oxydes de cuivre), le violet ou le mauve (provenant d’oxyde de manganèse). S’y ajoutent, à la fin du règne du grand sultan, le vert émeraude et le fameux « rouge tomate » (à base d’oxyde de fer) apposé en relief image 4.

Notre plat emploie tous les nouveaux tons froids, pour une harmonie colorée assez douce (oiseau, grosse fleur au milieu et fleurettes à son pied), mais relevée d’accents plus vifs (cœur et pourtour des roses, œillet enlaçant la grande fleur centrale, et feuilles saz). Cependant, la palette typique d’Iznik, essentiellement bleue et blanche, s’accommode mal avec la réalité : il est rare de rencontrer, dans la nature, des roses, des feuillages ou des paons bleus ! Ou même des tulipes bleues à pois rouges, motif récurrent de la céramique ottomane image 4.

En fait, cette fantaisie s’accorde très bien avec la tradition de la peinture islamique qui ne cherche pas à imiter strictement la réalité : les chevaux bleus, par exemple, y sont fréquents. Assurément, par son style saz au coloris raffiné et son élégant motif de paon, ce plat est représentatif des chefs-d’œuvre d’Iznik sous Soliman le Magnifique.

Sylvie Cuni-Gramont

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/plat-au-paon

Publié le 18/02/2025

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010318683

Un article sur Iznik et la céramique ottomane sur le site du Louvre Lens

https://www.louvrelens.fr/mon-louvre-lens/petit-voyage-a-iznik-via-istanbul/

Glossaire

Céramique siliceuse : Céramique faite d’un mélange constitué de peu d’argile et beaucoup de silice (sable ou quartz broyé).

Empire ottoman : Empire turc fondé par Osman Ier à la fin du XIIIe siècle et qui connut une grande expansion entre le XVe et le XVIIe (à l’ouest jusqu’au Maghreb, au nord jusqu’à la Hongrie, à l’est jusqu’en Iran et au sud jusqu’en Érythrée). Il fut démantelé après la Première Guerre mondiale.

Ocellé : Montrant des ocelles, c’est-à-dire des petits motifs circulaires qui ressemblent à des yeux.

Silice : Quartz (pierre transparente et incolore) pulvérisé.

Fritte : Mélange de poudre de verre et de soude.

Oxyde métallique : Composé chimique qui se colore à la chaleur. Le cobalt devient bleu, le cuivre vert, le manganèse brun ou violet, le chrome jaune ou rouge…

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