Poignard moghol à tête de cheval

Poignard à tête de cheval

Auteur

Dimensions

H. : 50,5 cm ; L. : 9,1 cm ; Pr. : 2,4 cm ; Poids : 0,468 kg

Provenance

Lieu de création : Inde

Technique

Damasquinage

Matériaux

Jade, Pierre précieuse, Or (métal), Rubis, Émeraude

Datation

Empire moghol (1526-1857) - 1600-1800

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Que nous apprend le détail de la tête du cheval ?

Ce luxueux poignard image principale fait partie de ces armes d’apparat que les grands seigneurs musulmans portaient glissées dans leur ceinture image 1, notamment en Inde image 9 sous les souverains moghols (1526-1857).

Un manche à tête de cheval

Cet objet est un khandjar, poignard dont la lame courbée équivaut en longueur à trois fois celle du manche, celui-ci montrant une courbe contraire. Ce khandjar présente une lame à décor damasquiné d’entrelacs en or et une garde dotée de fins quillons délicatement arqués détail b. Il possède une poignée sculptée en forme de tête de cheval détail b.

Dans le monde islamique, ce dernier est la monture préférée des princes, qui seuls ont les moyens d’entretenir cet animal élégant et rapide, mais supportant mal le climat souvent trop chaud de nombreux pays musulmans. La vénération dont il fait l’objet transparaît dans la représentation extraordinairement soignée et réaliste de ce manche de poignard : les oreilles légèrement couchées, la crinière finement détaillée en mèches et rejetée sur le côté droit de l’encolure détail c, les naseaux frémissants, la bouche à demi ouverte laissant voir la langue et les dents expriment toute l’énergie d’un coursier piaffant d’impatience.

Dans l’Inde moghole, les manches de poignard en forme de tête d’animal apparaissent à la fin du règne de l’empereur Jahângîr (1605-1627). Ils peuvent figurer un cheval, un bélier, un lion image 2, un chameau, un bouc, un faucon ou une antilope. Ils sont plus fréquents sous son fils et successeur Shâh Jahân qui règne de 1628 à 1658 image 3, commanditaire du célèbre Taj Mahal image 4 image 9. Mais ils demeurent très rares : parmi les khandjars représentés dans les peintures des livres moghols, peu montrent un manche en tête d’animal.

Il est vrai que le travail de taille de celui-ci, réalisé dans des matières très dures, constitue une prouesse technique.

Le jade, pierre de victoire

Ici, le cheval est fait en jade détail b. Dans le monde islamique, la sculpture de cette pierre fine est d’abord particulièrement pratiquée en Iran au XVe siècle, sous le règne des Timurides ; descendants du conquérant Tamerlan et ancêtres des Moghols, ils règnent aussi temporairement sur le Khotan (territoire dans l’ouest de la Chine image 9) riche en néphrite ; dans ce matériau, ils réalisent des chefs-d’œuvre recueillis plus tard par les princes moghols, qui s’en inspirent pour créer à leur tour des objets remarquables dans cette pierre.

En Inde, le jade est utilisé pour les pièces de vaisselle image 5, car il est réputé protéger du poison, mais aussi pour les armes, de même que dans d’autres pays musulmans (Turquie), car il est considéré comme favorisant la victoire. Ainsi, les manches de khandjars, qui peuvent, à partir du règne de Jahângîr, être réalisés en ivoire image 6 ou en cristal de roche image 7, sont aussi sculptés dans cet autre matériau luxueux et lisse au toucher, le jade image 8.

Dès le XVIIe siècle, la sculpture du jade, dont la couleur va du vert au blanc, atteint son apogée en Inde. Pourtant, cette pierre semi-précieuse est particulièrement difficile à travailler : l’artisan, assis en tailleur par terre, débite d’abord le bloc avec une scie ; puis, le morceau de jade calé entre ses orteils, il le fore avec une pointe métallique actionnée par un archet et incrustée de morceaux de diamants ; le façonnage et le polissage final sont effectués à l’aide de meules et de poudres abrasives.

L’Inde, pays des pierres précieuses

Souvent, la pièce sculptée passe ensuite dans les mains du zar-nishan, spécialiste en incrustation d’or et de gemmes, car celles-ci sont particulièrement appréciées des princes indiens, et abondantes dans leur pays. Ainsi, notre cheval, en jade vert, montre des yeux d’autant plus vifs qu’ils sont faits de petites émeraudes détail b, pierres à l’époque d’origine indienne ou importées de Colombie par les marchands portugais et espagnols ; son harnais est constitué de fils d’or incrustés et rehaussés de pierres rouges : des rubis, provenant alors de Ceylan ou de Birmanie, ou des spinelles (appelés aussi « rubis balais » car les plus beaux émanent du Badakhshan, au nord du Cachemire) image 9.

Ces pierres sont utilisées « en cabochons », c’est-à-dire non taillées en facettes. Elles sont serties avec de l’or très malléable, obtenu selon le procédé spécifiquement indien du kundan (« or » en hindi) ; l’artisan utilise de fines bandes d’un or très purifié et rendu si élastique qu’il peut être modelé autour de la pierre à fixer, à l’aide d’un outil métallique et à température ambiante.

Par ailleurs, les gemmes qui embellissent cette sculpture ne sont pas sans rappeler celles, plus grosses, qui paraient les chevaux des hauts dignitaires moghols, enrichissant leur harnachement, ou même séparant les mèches de leurs crinières. Ainsi, la perfection de cette sculpture, jointe à la haute qualité des matériaux et des techniques mises en œuvre pour réaliser ce khandjar, suggère qu’il a pu être destiné à un très grand seigneur indien de l’époque de Shâh Jahân ou de son successeur Aurangzeb (empereur de 1658 à 1707).

Mots-clés

Sylvie Cuni-Gramont

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/poignard-moghol-tete-de-cheval

Publié le 15/10/2024

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010330715

Un article consacré à la technique du kundan sur le site du Grand Palais, dans le cadre de l’exposition « Des Grands Moghols aux Maharajahs » (29 mars – 5 juin 2017)

https://www.grandpalais.fr/fr/article/connaissez-vous-la-technique-du-kundan

Glossaire

Jade : Ce terme générique désigne plusieurs variétés de pierres dures de structures cristallines différentes : néphrite, bowénite, jadéite… La culture chinoise attribue au jade de multiples vertus et significations symboliques qui justifient son usage abondant, notamment dans un contexte funéraire.

Dynastie moghole : Dynastie d’origine turco-mongole établie en Inde à partir de 1526, et empire que ces souverains contrôlèrent jusqu’en 1858. Après la fondation de l’Empire par Babur et les déboires de son fils Humayun, les plus grands souverains moghols furent Akbar (1542-1605) et ses successeurs immédiats : Jahângîr, Shah Jahan et Aurangzeb.

Quillon : Prolongement de la garde d’une épée, perpendiculaires à celle-ci.

Sertissage : Procédé utilisé pour fixer une gemme sur un bijou, en l’enchâssant dans une monture.

Hindi : Langue officielle de l’Inde.

Taj Mahal : Tombeau monumental, recouvert de marbre blanc, édifié à Agra (Inde) à la demande de l’empereur Shâh Jahân pour son épouse Mumtaz Mahal.