Réception d'une délégation vénitienne par le gouverneur mamelouk de Damas Anonyme italien

Réception d'une délégation vénitienne par le gouverneur mamelouk de Damas

Dimensions

H. : 158 cm ; L. : 175 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1511

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment cette scène diplomatique plonge-t-elle le spectateur dans le monde oriental ?

Dans ce tableau image principale, le palmier, les minarets et les petits personnages pittoresques peuvent, au premier abord, donner l’impression d’une ville orientale imaginaire et fantasmée. Il n’en est rien : ce tableau est peut-être le premier en Occident à décrire un Orient authentique.

Venise et l’Orient

Dès le Moyen Âge, les Italiens, et surtout les Vénitiens, sont les intermédiaires pour le commerce entre Europe et Orient, grâce à leurs relations avec l’Empire byzantin et le Levant. De nombreux marchands vénitiens se rendent régulièrement au Proche-Orient image 4, la plupart d’entre eux sachant parler arabe et turc ; le plus connu d’entre eux est Marco Polo. Par ailleurs, les commerçants musulmans ne sont pas rares sur les quais de la Cité des Doges. Aussi, Venise est une des premières villes européennes à s’intéresser au monde islamique. Et ses peintres sont les premiers à le représenter.

Damas sous les mamelouks

Ainsi, ce tableau italien image principale peint pendant la Renaissance nous montre une délégation vénitienne reçue à Damas image 4. La mosquée des Omeyyades, bien reconnaissable à l’arrière-plan à gauche détail b, permet d’identifier la cité syrienne image 1. Sa façade caractéristique, précédant une grande coupole, et ses minarets apparaissent tels qu’ils sont au début du XVIe siècle.

La Syrie est alors gouvernée, comme l’Égypte, par les sultans mamelouks (1250-1517), une dynastie d’anciens esclaves-soldats arrivés au pouvoir au XIIIe siècle ; les armoiries de l’un d’entre eux, Qa’it Bay, qui régna de 1468 à 1496, sont bien visibles ici, peintes sur le mur fermant le premier plan détail c ; elles montrent une coupe entre deux cornes à pulvérin (poudre noire qui amorce certaines armes à feu : canon, mousquet).

La mention « MDXI » (1511), lisible entre les membres du cheval, invite à penser que l’ambassade représentée a lieu plus tard, au tout début du XVIe siècle, à l’époque de l’avant-dernier sultan, Qansuh al-Ghuri.

Les principaux personnages du tableau pourraient être l’émir Sîbay (gouverneur de la ville) et le consul vénitien Pietro Zen.

L’émir et l’ambassadeur

L’émir est assis, « à l’orientale » (en tailleur), sur une estrade recouverte d’un tapis et installée en plein air, devant un iwan détail d; il est coiffé d’un étonnant turban à excroissances, réservé aux sultans et à certains gouverneurs, appelé nâ’ûra à cause de sa forme rappelant celle des norias, c’est-à-dire un genre de roue à eau très répandu dans le monde islamique. L’émir est habillé en blanc, de même que deux notables également assis sur l’estrade. De part et d’autre de celle-ci se tiennent de nombreux hommes debout, certains portant le bonnet traditionnel mamelouk en poil de chèvre teint en rouge.

L’ambassadeur, en long vêtement grenat, est accompagné d’un petit groupe de Vénitiens coiffés comme lui d’une toque noire et vêtus d’habits sombres. Il est présenté au gouverneur par un interprète officiel portant un turban blanc et un vêtement vert.

Image du quotidien à Damas

L’aspect solennel qu’aurait pu présenter ce genre de scène est contredit par l’abondance de détails pittoresques détail e, à commencer par les personnages évoluant près de l’endroit de l’entrevue entre l’émir et l’ambassadeur. Ainsi, au premier plan du tableau se succèdent, de gauche à droite, deux marchands harnachant des chameaux, un cavalier escorté d’un serviteur, trois personnages en train de converser ; devant eux, un garçon tient un singe en laisse, tandis qu’un peu plus loin se trouvent un cerf et une biche détail d ! On remarque aussi un homme noir qui semble transporter un ballot de tissu sur son épaule, allusion possible au fait que les ports du Levant sont sur la route de la soie (ils sont aussi sur la route des épices, provenant des Indes).

À l’arrière-plan détail b, les bâtiments, caractéristiques d’une ville islamique, sont décrits de façon précise : la mosquée des Omeyyades montre la singularité de ses minarets, notamment le sommet bulbeux qu’avait, en ce début du XVIe siècle, le minaret de Jésus. Nous remarquons aussi : les maisons à moucharabiehs image 2 et toits en terrasse ; les dômes de deux hammams, percés de petites ouvertures rondes ; le long mur à droite dont le sommet présente des merlons triangulaires typiques de la région image principale et l’iwan dont l’arcade bicolore détail c (alternance de pierres claires et sombres dite ablaq) est propre à l’architecture mamelouke image 3.

Cette représentation précise et colorée de la vie quotidienne d’une cité orientale est digne d’une miniature persane ; elle atténue l’importance de l’ambassade qui est reléguée au second plan. Ainsi, les délégués vénitiens, totalement intégrés au quotidien paisible des Damascènes, témoignent des échanges cordiaux établis depuis longtemps entre Venise et le Levant.

Un peintre inconnu

L’origine de ce tableau est mystérieuse. Il aurait appartenu à Nicolas Fouquet, surintendant des finances sous Louis XIV, avant de rejoindre les collections de ce roi. L’auteur de cette peinture, une des plus anciennes en Europe à montrer de manière aussi fidèle la capitale syrienne, a probablement travaillé d’après des croquis pris sur place. Décrivant un événement concernant Venise, il vivait peut-être dans cette ville. On pense à Gentile Bellini en raison de son goût pour les peintures narratives et du fait que, ayant voyagé en Orient, jusqu’à Constantinople (actuelle Istanbul), il en a rapporté de nombreux dessins. Pourtant, en 1511, date du tableau, Bellini est déjà mort. Cette œuvre serait donc plutôt celle d’un artiste de son atelier, ou, plus généralement, de Vénétie.

La réception des ambassadeurs, une vidéo du projet Qantara, Institut du Monde arabe, IMA), 5mn

Mots-clés

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010061588

Un article sur les Mamelouks Julien Loiseau, professeur d’histoire du moyen-âge à l’Université d’Aix-Marseille

https://campuslumieresdislam.fr/assets/media/pdf-v4/loiseau-les-mamelouks.pdf

Marco Polo, une vidéo d'Arte Family, 2mn35

https://www.youtube.com/watch?v=4KfJvBHJzWE

Glossaire

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Mamelouk : membres d’une milice formée d’esclaves affranchis au service de différents souverains musulmans, cette milice a occupé le pouvoir en Égypte et en Syrie. Pendant la campagne d’Égypte, une partie d’entre eux se rallient à Bonaparte et le suivent en France. En 1807, ils forment un escadron de la garde impériale.

Iwan : Haute salle voutée, entièrement ouverte sur un côté, d’origine perse.

Byzance : Antique cité grecque de Byzantium, située sur l’embouchure du Bosphore, Byzance est rebaptisée Constantinople lorsque Constantin en fait la capitale de l’empire romain d’Orient en 324. Conquise par les Turcs au XVe siècle, elle devient capitale de l’Empire ottoman, puis de la Turquie moderne sous le nom d’Istanbul adopté à partir de 1930. Le nom antique de la cité subsiste dans l’adjectif « byzantin », qui qualifie la civilisation de l’empire chrétien d’Orient du Ve au XVe siècle.

Moucharabieh : Dans l’architecture islamique, panneau de bois ajouré, fermant une fenêtre ou une loggia ; favorisant une ventilation naturelle des bâtiments, il permet aussi aux femmes de regarder à l’extérieur sans être vues.

Merlon : Partie pleine d’un parapet, entre deux créneaux.