Roue de bicyclette Duchamp Marcel

Roue de bicyclette

Tabac-Rat

Dimensions

H. : 126,5 cm ; L. : 31,5 cm ; Pr. : 63,5 cm

Provenance

Technique

Assemblage d'une roue de bicyclette sur un tabouret

Matériaux

Métal peint, Bois

Datation

1913, 1964

Lieu de conservation

France, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne

Objet banal, vendu dans le commerce, ou œuvre d’art ?

Conçue en 1913, cette Roue de bicyclette image principale est la première du genre. Marcel Duchamp fait entrer l'objet du quotidien dans l'univers de l'art et donne naissance à ce qu'il appelle le ready-made (déjà fait).

Le prêt à créer

Une roue de bicyclette et un tabouret sont assemblés l'un sur l'autre. Ils ont perdu leur fonction d'origine, détournée, pour composer une sculpture d'un type nouveau. La roue disposée en l'air peut tourner sur elle-même, c'est une œuvre cinétique. Le tabouret, bien stable en contrepoint, lui sert de socle. Un an plus tard, Duchamp poussera encore plus loin sa démarche avec le Porte-bouteilles image 1, œuvre dans laquelle l'objet banal ne subit cette fois aucune transformation. Il l'a acheté dans un grand magasin parisien et a décrété sa nature artistique. Une fois placé dans un musée ou une galerie, face à des regardeurs et soumis au jugement du critique d'art, l'objet perd son identité initiale et devient une sculpture.

En 1917, Marcel Duchamp a l'occasion de développer sa pensée quand il présente à New York Fontaine image 2, qu'il signe sous le nom de « Mr Mutt », célèbre fabricant de sanitaires : « Que Mr Mutt ait fabriqué la fontaine de ses propres mains ou non est sans importance. Il l'a choisie. Il a pris un article courant de la vie quotidienne et l'a placé de telle sorte que sa signification utilitaire disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue – il a créé une pensée nouvelle pour cet objet. »

Créer avec la pensée

Reprenant l'idée de Léonard de Vinci selon laquelle l'art est une chose mentale, Marcel Duchamp instaure la pensée comme moteur de la création artistique. Il dénonce les intoxiqués de la térébenthine, c'est-à-dire les peintres traditionnels, qui mettent en avant leur style et leur habileté à manier le pinceau. Il lui semble qu'après toutes les expériences et tous les mouvements picturaux qui se sont succédé depuis la Renaissance, les possibilités de la peinture ont été épuisées. En 1918, il met un point final à la peinture en réalisant un dernier tableau pour Katherine Dreier, conservé à New Haven, Tu m'… (sous-entendu, la peinture), dans lequel on voit, parmi d'autres choses, l'ombre portée de la roue de bicyclette, comme celle qui monte sur le mur derrière l'œuvre. Il considère que La Joconde, cette icône de l'art occidental, doit être détrônée et il la tourne en dérision dans une affiche image 3. Selon lui, il faut désacraliser l'art et abandonner les notions de beau, d'illusion du réel, d'authenticité et de précieux. Duchamp fait passer la création du faire au concept, celle-ci devient une pure aventure de l'esprit.

Un esprit dada

L'assemblage d'une roue de bicyclette et d'un tabouret opéré par Duchamp n'est pas le fruit du hasard, mais plutôt du hasart, mot de son invention. Le hasard peut devenir le point de départ de sa démarche artistique et générer du sens. Par ailleurs, il propose une analyse dynamique des notions de temps et de mouvement. Dans la roue qui tourne sur elle-même, il met en œuvre la quatrième dimension, une préoccupation commune à d'autres artistes de l'époque, comme Malevitch et Delaunay, dans leur peinture abstraite. Dans d'autres de ses œuvres, Duchamp joue sur l'effet de surprise et mêle calembour et contrepèterie. Virtuose des mots, il nomme par exemple Belle Haleine, Eau de voilette un flacon de parfum. Sa désinvolture et son ironie l'affilient à l'univers absurde et subversif des artistes dada. Comme eux, il recycle et détourne les objets qu'il collecte. Dans sa Danse de Saint-Guy image 4, Picabia tend ainsi un bout de ficelle entre les montants d'un cadre doré, vestige dérisoire de la toile et allusion aux « ficelles » du métier du peintre.

L'emprise du réel

Duchamp et les artistes dada ne sont pas les premiers à réaliser des œuvres qui intègrent des objets produits en série, les cubistes l'avaient fait avant eux. Tous manifestent ainsi leurs inquiétudes et leurs doutes devant l'essor d'une société matérialiste. Tandis que certains artistes s'emparent des objets, les détournent, les agglomèrent, les accumulent, les assemblent, d'autres les font disparaître en créant des peintures abstraites (Kandinsky, Mondrian). Ces postures opposées sont nées quelques années avant la Première Guerre mondiale. La machine triomphe à cette époque et fait concurrence à l'humain. La roue de bicyclette de Duchamp évoque la mécanisation en tournant sur elle-même et prend de l'importance posée sur le tabouret, comme autrefois la figure d'un homme illustre sur son piédestal dans la sculpture traditionnelle.

Roue de bicyclette, Marcel Duchamp, une vidéo du Centre Pompidou

Isabelle Majorel

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/roue-de-bicyclette

Publié le 18/09/2013

Ressources

Dossier pédagogique « L’objet dans l’art au XX<sup>e</sup> siècle » sur le site web du Centre Pompidou

https://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-objet/ENS-objet.htm#02

Dossier pédagogique « L’œuvre de Marcel Duchamp » sur le site web du Centre Pompidou

http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Duchamp/ENS-duchamp.htm

Glossaire

Art cinétique : Courant artistique qui se développe à partir du XXe siècle et qui introduit le mouvement dans les arts plastiques.

Dada : Mouvement intellectuel né au cœur du cataclysme de la Première Guerre mondiale en Europe. Le mouvement ne tarde pas à gagner les États-Unis avec Man Ray, Duchamp et Picabia qui animent Dada New York. Dans un esprit subversif, les artistes Dada (ou dadaïstes) mettent en question la notion d’œuvre d’art. Leur travail est souvent caractérisé par le recyclage et le détournement des objets qu’ils collectent.

Assemblage : Technique de sculpture consistant à créer une œuvre à partir de plusieurs éléments assemblés.