Scène du Déluge Girodet Anne-Louis
Scène du Déluge
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Girodet, peintre classique ou romantique ?
Formé à l'école de Jacques-Louis David dans le plus pur esprit néoclassique, Anne-Louis Girodet peut être considéré tout à la fois comme l'un de ses meilleurs élèves et celui par lequel s'exprime une sensibilité nouvelle et opposée, bientôt qualifiée de romantique. C'est surtout dans la peinture de scènes dramatiques, non dénuées d'une certaine noirceur, que l'originalité de Girodet se révèle, comme dans cette Scène du Déluge exposée au Salon de 1806 image principale.
Lutter pour survivre
Sur cette toile de très grand format, cinq membres d'une même famille luttent désespérément contre les éléments. Leurs chances de survie ne dépendent que de l'homme qui monte sur les rochers et s'accroche à un arbre mort sur le point de céder. Son visage n'est plus qu'un masque grimaçant de douleur. Les muscles saillant sous l'effort, il tente de hisser jusqu'à lui sa femme, à laquelle s'agrippent leurs enfants terrifiés. Son action est entravée par le poids du vieillard qui, juché sur son dos, tient dans sa main ses économies image b. La tension est extrême, accentuée par le ciel sombre zébré d'un éclair et par la présence d'un cadavre flottant dans les eaux noires.
Girodet illustre ici la fragilité de l'existence humaine face au déchaînement des éléments.
Les romantiques et le Sublime
Après le succès unanime de la toile mythologique qu'il a peinte en 1791, Le Sommeil d'Endymion image 5, Girodet souhaite produire un choc en exposant un sujet dramatique et puissant sur une toile de très grand format, une scène de déluge.
En représentant la détresse humaine soumise aux injonctions d'une nature impérieuse, le peintre traite l'un des thèmes majeurs de la génération romantique, le Sublime, s'inspirant de l'ouvrage d'Edmund Burke, Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du Sublime et du Beau (1757).
La Nature : un nouveau protagoniste
Dans ce tableau, la violence de la montée des eaux et le ciel menaçant participent de cette notion. La scène est vue en contre-jour, intensifiant la vision apocalyptique des éléments déchaînés.
À partir de la fin du XVIIIe siècle, la nature n'est plus un simple décor elle devient un élément essentiel de la narration dans les œuvres peintes. Il en est de même dans le domaine de la littérature : Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, dans son roman Paul et Virginie (1788), fait de la nature sauvage de l'île Maurice le paradis perdu des héros du récit. Girodet connaît l'œuvre et son auteur. Il participe à l'illustration image 3 d'une édition de ce roman, l'année où il expose sa Scène du Déluge.
Des sources d'inspiration classiques
L'expression des passions, véritable questionnement des artistes depuis le XVIIe siècle, est au cœur de cette toile. Les émotions qui touchent l'âme doivent être perceptibles dans les traits du visage. Charles Le Brun, peintre de Louis XIV établit un traité synthétisant chaque expression. Girodet étudie ce texte. Il analyse également les œuvres des maîtres. Ainsi, la musculature et le visage de l'homme semblent s'inspirer du Jugement dernier peint par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. Le jeune adolescent rappelle quant à lui le Laocoon image 4. Enfin, le groupe de l'homme portant sur son dos un vieillard évoque celui de l'une des fresques de Raphaël au Vatican image 1.
Histoire biblique ou fait divers ?
Girodet efface toute indication de lieu et de temps pour donner à son œuvre une dimension universelle. Les critiques sont déstabilisés face à ce choix artistique : s'agit-il de la représentation d'une scène tirée de la Genèse, ou bien de celle d'un événement contemporain ?
La référence à l'œuvre de Nicolas Poussin, L'Hiver ou le Déluge image 2, semble évidente. Dans un vaste panorama nocturne, les rares survivants d'un déluge essaient d'échapper à la montée des eaux. Sur la droite de la toile, une famille monte sur des rochers. Les eaux sont calmes, les gestes mesurés. Plus qu'un drame humain, le tableau représente la justice divine s'abattant inexorablement.
Malgré les points communs relevés entre ces deux œuvres, Girodet assure ne pas traiter le thème biblique. Il souhaite évoquer l'une de ces catastrophes naturelles dont il a eu connaissance par les journaux. Dans une lettre, il précise : « C'est par erreur que, dans le livret du Salon, mon tableau a été annoncé sous le titre d'une Scène du Déluge je n'ai voulu donner l'idée ni de celui de Noé ni de celui du Deucalion. J'ai pris le mot déluge dans le sens d'inondation subite et partielle produite par une convulsion de la nature, telle par exemple que le désastre arrivé dernièrement en Suisse en a pu fournir le tableau. »
C'est donc un fait divers qui inspire à l'artiste cette toile où il oppose piété filiale et amour conjugal. L'homme est en effet dans l'impossibilité de faire un choix entre la vie du vieil homme et celle de sa femme et de ses enfants.
Pourtant, les dimensions gigantesques de l'œuvre, alors réservées à la peinture d'histoire dont les sujets bibliques font partie, interrogent. Comme Théodore Géricault quelques années plus tard dans Le Radeau de La Méduse image 7, Girodet choisit de briser les codes qui régissent la création artistique. Il annonce en cela les bouleversements de la génération romantique.
Ressources
Dossier de presse du musée Magnin, à Dijon, sur l’exposition « Visions du Déluge. De la Renaissance au XIXe siècle » (11 octobre 2006 – 10 janvier 2007)
http://musee-magnin.fr/evenements/expositions-passees/visions-du-deluge
Etude publiée sur Histoire par l’image
http://www.histoire-image.org/etudes/prix-decennaux-debat-esthetique
Extraits de lettres de Julie Candeille, amie de Girodet, au sujet des tableaux du peintre, dont Scène du Déluge
Un dossier pour enseignants sur Anne-Louis Girodet et son époque
http://www.abbe-raynal.org/images/dossier-enseignant-girodet-raynal.pdf
Une biographie d’Anne-Louis Girodet sur le site du musée Girodet à Montargis
Une page du site de l’académie de Créteil consacrée au thème du Déluge
Glossaire
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.
Héros : Dans la Grèce antique, personnage le plus souvent issu de l’union d’une divinité et d’un mortel auquel on prête des aventures exceptionnelles. Associé à la vie locale, un culte est rendu sur son tombeau.
Classicisme : Au XVIIe siècle, courant de pensée qui fait de l’Antiquité le modèle de toute forme artistique (littérature, musique, architecture et arts plastiques). Il coexiste avec le baroque auquel il oppose une certaine forme de rigueur et de pondération. En France, il trouve sa meilleure expression sous le règne de Louis XIV, au travers des différentes académies.
Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.
Fresque : Technique de peinture murale qui consiste à appliquer des couleurs délayées à l’eau sur un enduit frais. Le mot est d’origine italienne, il vient de fresco qui signifie frais. Toute œuvre peinte d’après ce procédé est aussi désignée sous le nom de fresque.
Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.
Jugement dernier : Dans la religion chrétienne, jugement prononcé par Dieu à la fin du monde sur les vivants et sur les morts ressuscités.