Tapis de Mantes
Tapis de Mantes
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Lieu de conservation
Que représente ce tapis persan ?
Ce tapis iranien de très grande taille image principale a appartenu autrefois à la collégiale Notre-Dame de Mantes, dans les Yvelines image 7. Son origine est inconnue ; pourtant, il s’agit d’un des plus anciens tapis persans entièrement conservés.
Des animaux dans un décor symétrique
Le décor naturaliste de ce tapis est organisé autour d’un médaillon central image principale détail b inspiré des reliures de livre de l’époque image 1. Il obéit à un schéma « en miroir », c’est-à-dire que tous les motifs sont répétés quatre fois, selon deux axes perpendiculaires.
Le médaillon est constitué de deux étoiles imbriquées. Dans la plus petite, à fond vert, un félin est prêt à bondir sur un daim détail c. Dans la seconde étoile, à fond rouge, un dragon est attaqué par deux simurghs détail d ; ce combat figure également dans la bordure du tapis, en alternance avec un motif de grosse fleur. Le médaillon se prolonge par un cartouche rectangulaire à décor végétal, puis par un fleuron montrant deux qilins verts sur un fond rouge détail e. Le dragon et le qilin image 2 sont des animaux fabuleux d’origine chinoise. Leur représentation a été introduite dans l’art persan quand les Mongols de Chine ont conquis la Perse, y fondant la dynastie des Ilkhans au XIIIe siècle. Ici, ces créatures fantastiques côtoient des animaux réels, comme des daims détail f, des lièvres et des oiseaux détail g, qui se détachent sur un fond bleu sombre.
Un jardin symbolique
Sous un renard passant, un lion égorge une gazelle détail g ; ce thème du combat entre un fauve et un animal à cornes est traditionnel, remontant à l’Antiquité perse image 3. Près du médaillon central, un érable accueille sur ses branches des oiseaux et leur nid ; au pied de l’arbre, qui évoque peut-être l’antique Arbre de vie, des poissons et des canards peuplent un petit étang où des antilopes viennent boire détail h. Juste à côté se tient un grand paon, emblème de souveraineté détail i.
Les cyprès sont des symboles d’immortalité en raison de leur feuillage persistant détail j. Dans les angles du tapis, ils sont placés à côté d’églantiers en fleurs détail j ; la poésie persane voit dans cette association les images de l’amant (l’arbre à la silhouette élancée) et de l’aimé.
Près du cartouche, un chasseur enturbanné, un genou à terre, pointe son mousquet vers un lion attaquant une gazelle détail h. La chasse, activité prisée des shâhs, est un thème décoratif fréquemment associé à celui de la nature dans l’art figuratif iranien image 4.
Fabrication du tapis persan
Ce tapis à points noués a été réalisé, comme la plupart des tapis persans, en utilisant le nœud asymétrique : le brin de laine tourne complètement autour d’un fil de chaîne puis passe simplement sous le suivant. Une fois la rangée de nœuds effectuée, on la resserre en glissant contre elle un fil de trame en coton que l’on tasse avec un peigne. Le nœud asymétrique permet d’obtenir une densité de laine très importante, donc de créer des motifs détaillés ; de fait, c’est le nombre de nœuds au décimètre carré qui détermine la qualité d’un tapis : il peut se chiffrer à 100 000 ! En fin de travail, le velours doux et chatoyant obtenu est égalisé aux ciseaux.
La laine des tapis persans anciens était teinte avec des colorants essentiellement végétaux : le jaune pouvait être obtenu à partir de safran ou de feuilles de vigne, le bleu à partir d’indigo, le vert à partir d’un mélange de bleu et de jaune, le rouge à partir de racine de garance mais aussi d’un insecte proche de la cochenille. Les couleurs de certains motifs de ce tapis peuvent étonner : les gazelles sont bleues, l’étang est rouge, les feuilles du même érable sont jaunes ou rouges ou bleues ou blanches. Cette fantaisie poétique dans l’emploi du coloris est habituelle dans tout l’art islamique.
Une histoire des tapis persans
Un des plus vieux tapis connus, aboutissement d’une technique textile remontant à plus de 2 500 ans, date au moins du IIIe siècle av. J.-C. et a été découvert à Pazyryk, en Russie méridionale image 7, dans la tombe d’un prince scythe. Il a pu être confectionné en Perse avant d’être offert à ce personnage. Son pourtour montre un défilé de cavaliers et sa bordure intérieure présente des cervidés ; le champ, c’est-à-dire la partie interne du tapis est décoré d’un quadrillage. Jusqu’au XVe siècle, aucun autre tapis persan n’a subsisté entier. Seuls quelques fragments retrouvés témoignent de motifs essentiellement géométriques. Juste avant le début du XVIe siècle, sous les Timourides, des peintures de livres montrent l’apparition de motifs curvilignes et figuratifs. Ce changement important est dû en partie aux ateliers royaux d’ornemanistes qui se mettent à fournir des cartons pour la création des tapis.
Cette évolution est stimulée au XVIe siècle, quand les Safavides (1501-1722) accèdent au pouvoir. La nouvelle dynastie crée des manufactures royales de tapis à Ispahan, Kashan, Tabriz, Kerman et Herat image 7. Cet artisanat connaît alors son apogée avec une décoration mêlant personnages (leur représentation, dans les tapis du monde islamique, n'apparaît qu’en Iran), faune et flore, sur le thème du jardin merveilleux, allusion traditionnelle au paradis image 5. Le tapis de Mantes en est un des meilleurs exemples. Il a pu être produit à Tabriz, réputée pour ses tapis à médaillon central et motifs animaliers image 6.
Au XIXe siècle, ce chef-d’œuvre de l’art islamique pouvait être étendu dans le chœur de la collégiale de Mantes à l’occasion de mariages ou de grandes cérémonies. Car l’Église en France a admiré, dès le Moyen Âge certains matériaux et objets précieux du monde de l’Islam, les intégrant à notre patrimoine.
Sylvie Cuni-Gramont
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/tapis-de-mantes
Publié le 22/11/2024
Ressources
La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre
« Le paradis et le tapis persan » dans La Revue de Téhéran
Glossaire
Carton : Grand dessin qui sert de modèle pour la réalisation d'œuvres d’envergure : peintures, vitraux et tapisseries.
Simurgh : Oiseau mythique, protecteur ou ennemi des rois et des héros dans la littérature épique iranienne ; à partir du XVe siècle, sa représentation se confond avec celle du phénix chinois.
Qilin : Animal de la mythologie chinoise, tacheté, cornu, et irradiant des flammes.
Point noué : Technique consistant à faire des nœuds avec des brins de laine ou de fil.
Chaîne : Sur un métier à tisser, ensemble des fils parallèles disposés dans le sens de la longueur.
Trame : Sur un métier à tisser, ensemble des fils passant transversalement entre les fils de chaîne
Scythes : Peuple de de cavaliers nomades, appartenant au groupe iranien, vivant pendant l’Antiquité (du VIIIe siècle av. J.-C. au IIe siècle ap. J.-C.) en Scythie, territoire au nord de la mer Noire, dans le sud de la Russie actuelle.
Indigo : Colorant bleu foncé obtenu avec les feuilles de l’arbuste indigotier.
Cochenille : Insecte dont on extrait le rouge carmin. La couleur précieuse, tirée de la femelle et de ses œufs, permet de teindre des étoffes luxueuses.
Timourides : Dynastie de souverains régnant en Perse de 1370 à 1406.
Safavides : Dynastie de souverains régnant en Perse de 1501 à 1732.
Ornemaniste : Dessinateur de motifs décoratifs.