Un dimanche à la Grande Jatte Seurat Georges
Un Dimanche à la Grande Jatte
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Comment le néo-impressionnisme associe-t-il l’art et la science ?
Georges Seurat a 26 ans lorsqu’il expose Un dimanche à la Grande Jatte image principale, une toile monumentale de 2 m sur 3 peinte avec des touches divisées, comme des petits points. Cette œuvre devient le manifeste du mouvement néo-impressionniste. Après avoir étudié le dessin pendant deux ans à l’École des beaux-arts, Seurat quitte cette formation classique pour étudier la perception des couleurs. Tout comme les impressionnistes, il utilise des tons purs sans les mélanger et puise ses sujets dans la vie quotidienne et populaire. L’artiste expérimente cette peinture claire en touches croisées sur des petits panneaux de bois, qu’il nomme des croquetons, avant d’entreprendre de grands formats, comme ceux des Salons officiels de peinture.
Un dimanche à la Grande Jatte révèle cette conception maîtrisée et inédite de la peinture et crée la surprise lors de sa présentation à la huitième et dernière exposition des impressionnistes, en 1886. La rigidité des personnages frappe et rebute certains. Mais un jeune critique, Félix Fénéon, défend le tableau et invente le terme néo-impressionnisme pour désigner cette nouvelle manière de peindre. On emploie aussi les mots divisionnisme ou pointillisme, qui font référence à la technique. Le pointillisme est issu des critiques moqueuses : « des points, des virgules, des points-virgules… »
Des personnages figés, comme des pièces d’échiquier
Un dimanche ensoleillé, des Parisiens de la classe moyenne se détendent au bord de la Seine. L’île de la Grande Jatte se situe au milieu du fleuve, dans la banlieue ouest de Paris image 8. En face, sur la rive droite, se trouvent Courbevoie et Asnières, de nouvelles banlieues industrielles et ouvrières. Le paysage structure la composition, avec la diagonale du bord de Seine et les verticales des troncs d’arbres. Les différents plans sont distingués par la succession de zones d’ombre ou de lumière. Dans ce décor, les bourgeois, en chapeau haut-de-forme, côtoient ouvriers et canotiers. Au premier plan, un singe introduit une note d’humour ; ce motif est peut-être aussi un symbole, celui de la luxure, ou encore un clin d’œil au peintre qui « singe » la nature. Le singe est une image récurrente dans l’histoire de la peinture image 1. Les figures, souvent de profil, de face ou de dos, apparaissent figées, n’interagissent pas, comme dans un temps suspendu. Seurat a souligné leur contour, avec netteté et précision. Pour les mettre en valeur, les personnages sont parfois entourés d’un halo plus clair. Une conception réfléchie au moyen de nombreux dessins et croquetons Seurat prépare son tableau dès 1884. On en connaît une soixantaine de dessins et d’esquisses peintes à l’huile. L’artiste dessine au crayon Conté image 2 image 3, fait surgir les formes grâce à sa grande maîtrise du clair-obscur, abandonnant le dessin académique qui appuie la ligne et le contour net. Ses dessins sont synthétiques, non descriptifs, souvent imprégnés de mystère, de mélancolie. Les petites esquisses à l’huile sont peintes sur le motif, avec des touches croisées aux couleurs claires, dans la lignée de l’impressionnisme image 4 image 5. Des études d’ensemble recomposent la scène image 5. Enfin, la grande toile est peinte en atelier, suivant la méthode académique pour les grands tableaux d’histoire. Les œuvres néo-impressionnistes s’opposent au caractère fugace et spontané de l’impressionnisme par une conception ordonnée et réfléchie des scènes et des personnages, n’en retenant que l’essentiel. Les néo-impressionnistes vont plus loin dans la recherche de la sensation visuelle, en transformant par exemple l’ombre et la lumière en flaques colorées bleues et jaunes.
Peinture et science
« Certains disent qu’ils voient de la poésie dans mes peintures, je ne vois que de la science », expliquait Seurat. Cette phrase révèle le caractère méthodique du peintre et son ambition de renouveler la peinture impressionniste par les apports de la science. Seurat se passionne très tôt pour les sciences optiques. Il lit notamment les publications du chimiste Michel-Eugène Chevreul (De la loi du contraste simultané des couleurs, 1839), du physicien américain Ogden Rood (Modern Chromatics, traduit en 1881), qui élaborent chacun des cercles chromatiques image 6 mettant en évidence, au travers des couleurs continues, la sensation de mouvement et de lumière. Les touches divisées permettent de conserver la luminosité de chaque couleur. Le mélange ne s’opère plus sur la palette mais dans la rétine et le cerveau de celui qui regarde le tableau. Le mélange optique s’effectue à bonne distance de la toile, qualifiée de « distance d’accommodation » par le critique Félix Fénéon. Par ailleurs, Seurat utilise les contrastes de teintes et de tons. « L’Art, c’est l’harmonie. L’Art, c’est l’analogie des contraires, l’analogie des semblables, de ton, de teinte, de ligne », écrivait-il. Le peintre, de manière innovante, peint également une bordure sur la toile, dans des teintes complémentaires et tons contrastés, pour mettre en valeur la scène et acclimater le regard au mélange optique image b.
Sur la rive d’en face, les ouvriers se baignent à Asnières
Deux ans plus tôt, Seurat expose Une baignade, Asnières image 7 au premier Salon des indépendants. Pour ce tableau, il n’utilise pas encore systématiquement une touche divisée. Le format est quasiment identique à Un dimanche à la Grande Jatte et le thème similaire, comme s’il s’agissait de pendants : bourgeois sur une rive, ouvriers sur l’autre. On aperçoit l’île de la Grande Jatte, à droite. C’est lors de cette exposition que Seurat rencontre les futurs néo-impressionnistes, notamment Paul Signac, et qu’il attire l’attention de Félix Fénéon.
Georges Seurat meurt subitement à l’âge de 31 ans. Son œuvre est néanmoins déterminante pour toute une génération de peintres de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Son ami Paul Signac lui succède comme chef de file et théoricien du mouvement néo-impressionniste. Henri Matisse peint à ses côtés à Saint-Tropez, puis réalise Luxe, Calme et volupté au moyen de touches divisées et de couleurs pures.
Georges Seurat Un dimanche à la Grande Jatte, une vidéo de l'Art Institute Chicago
Thuy-Lan Hovan
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/un-dimanche-la-grande-jatte
Publié le 03/04/2023
Ressources
Une étude du dernier tableau de Georges Seurat "Le Cirque", sur le site de Panorama de l'art
La notice de l’œuvre sur le site de l’Art Institut of Chicago
https://www.artic.edu/artworks/27992/a-sunday-on-la-grande-jatte-1884
Glossaire
Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.
Néo-impressionnisme : Mouvement pictural novateur créé par Georges Seurat (1859-1891) qui s’inspire de la théorie scientifique des couleurs. Dans une recherche fondée sur la lumière, les tons sont alors obtenus par petites touches (ou points) de pigments purs juxtaposés sur la toile.
Divisionnisme : Méthode de peinture qui applique la division des couleurs sur la toile comme les impressionnistes, mais de façon plus réfléchie et systématique, au moyen de touches de couleur pure juxtaposées. Ce principe permet d’obtenir un éclat lumineux plus intense et des compositions plus synthétiques.
Pointillisme : Technique picturale qui consiste à appliquer sur le tableau de petits points colorés.
Couleurs complémentaires : Désigne deux couleurs opposées sur le cercle chromatique. Les trois couples de couleurs complémentaires (bleu et orange, rouge et vert, jaune et violet) associent chacun une couleur primaire (bleu, rouge, jaune) et sa complémentaire (orange, vert, violet). La juxtaposition de couleurs complémentaires augmente le contraste lumineux.