Le Cirque Seurat Georges

Le Cirque

Esquisse peinte

Dimensions

H. : 188,5 cm ; L. : 152,5 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1891

Lieu de conservation

France, Paris, musée d’Orsay

Pourquoi peindre un aussi grand tableau avec de si petits points ?

Georges Seurat, pionnier du néo-impressionnisme, est une des personnalités les plus novatrices de la fin du xixe siècle. Il présente Le Cirque image principale, un grand tableau de presque 2 mètres de haut, au Salon des indépendants en 1891, avant de mourir brutalement à 31 ans. Cette œuvre ultime témoigne de son ambition artistique.

Le courant néo-impressionniste, entre l'art et la science

Né à Paris en 1859, Georges Seurat est un jeune artiste qui s'inscrit dans la lignée de l'impressionnisme, mais qui veut fonder ses recherches picturales sur des théories scientifiques. Il s'inspire ainsi des idées du chimiste Michel-Eugène Chevreul, directeur de la manufacture des Gobelins, sur la perception des couleurs complémentaires et la façon dont elles s'influencent mutuellement (De la loi du contraste simultané des couleurs et de l'assortiment des objets colorés, 1839). Il se réfère aussi à la Grammaire des arts du dessin (1867) de Charles Blanc au sujet du mélange optique des couleurs : celles-ci perdent de leur éclat quand elles sont mélangées sur la palette du peintre. Il faut donc appliquer directement sur la toile des petits points de couleur pure, d'où le nom de pointillisme ou divisionnisme parfois donné à cette technique, à cause de la division de la touche. Ces points très réguliers se fondent à une certaine distance dans l'œil du spectateur, restituant formes et couleurs. Enfin, Georges Seurat est aussi influencé par la psychologie des sensations développée par Charles Henry dans son Introduction à une esthétique scientifique (1885) : lignes et couleurs expriment des sentiments de façon codifiée.

Georges Seurat applique ces théories dans de grandes compositions comme Une baignade, Asnières en 1884 ou Un dimanche à la Grande Jatte, présenté à la dernière exposition impressionniste en 1886. Le critique Félix Fénéon invente alors le terme de néo-impressionnisme pour qualifier cette nouvelle peinture, qui séduit Paul Signac et Camille Pissarro, mais est rejetée par Claude Monet ou Auguste Renoir, soucieux de préserver leur spontanéité.

Le cirque, sujet moderne et symbole social

Après le nu féminin avec Les Poseuses en 1886-1888, Georges Seurat aborde le monde du spectacle avec la Parade de cirque (1887-1888), Le Chahut (1889-1890) et Le Cirque [image principale].

Distraction très appréciée au xixe siècle, le cirque est un thème traité par de nombreux artistes comme Auguste Renoir, Edgar Degas, ou Henri de Toulouse-Lautrec image 1. C'est probablement le cirque Fernando, devenu ensuite cirque Medrano, situé à Montmartre, tout près de son atelier, qui a inspiré Georges Seurat.

Le peintre nous fait assister au spectacle sur le bord de la piste où évoluent une gracieuse écuyère en équilibre sur le dos d'un cheval au galop image b, Monsieur Loyal tenant un fouet image c et trois clowns. L'un d'eux est à demi caché derrière Monsieur Loyal, tandis qu'un autre est saisi en plein saut acrobatique image d. Le troisième, au premier plan, de dos et coupé par le bord du cadre, tient dans la main droite le bout d'un rideauimage e. Ce dernier ne peut être celui qui cache l'entrée des artistes, représentée à droite, en dessous de l'orchestreimage f. Le clown, en ouvrant le rideau, semble dévoiler la scène au spectateur. Est-il un double du peintre ? Représente-t-il l'artiste, qui dévoile dans son œuvre la société tout entière symbolisée par le cirque ? En effet, Georges Seurat nous montre le public dans toute sa diversité sociale image g. Les places les plus chères sont occupées par les spectateurs les plus aisés, installés aux premiers rangs sur de confortables banquettes ils sont élégamment vêtus et portent des chapeaux. Le public plus modeste assis sur de simples banquettes en bois, tandis que, tout en haut, garçons coiffés d'une casquette et filles sans chapeau s'accoudent à la balustrade.

Une surface plane formée de lignes et de couleurs

Georges Seurat construit son tableau en opposant le mouvement des artistes sur la piste à l'immobilité des spectateurs sur les gradins, reprenant ainsi les idées de Charles Henry sur l'expressivité des lignes et des couleurs. Du côté de la piste, les lignes ascendantes, dirigées de la gauche vers la droite, expriment le mouvement, la vitesse, la gaieté ainsi, la courbure de la piste est soulignée par le cheval au galop et l'ondulation du fouet. La silhouette de l'écuyère répond à celle du clown sautant. Au contraire, les lignes horizontales des gradins expriment le calme et l'immobilité des spectateurs. La composition est équilibrée, les formes sont simplifiées.

Le peintre joue aussi du pouvoir expressif de la couleur en utilisant une palette restreinte, dominée par le blanc et les trois couleurs primaires (bleu, jaune, rouge), ces dernières permettant d'obtenir toutes les autres. Elles sont traitées par petits points réguliers et donnent au tableau une grande luminosité.

Georges Seurat conçoit son œuvre avant tout comme une surface colorée et se soucie peu de la profondeur de l'espace. Ainsi, les gradins sont rectilignes, alors qu'ils devraient être incurvés selon les règles de la perspective. De même, le cheval n'est pas représenté de façon réaliste : dès 1878, les photographies d'Eadweard Muybridge qui décomposent le mouvement avaient en effet démontré qu'au moment où le cheval au galop ne touche plus le sol, ses jambes sont repliées sous lui et non pas en extension comme ici. Mais n'a-t-on pas ainsi l'impression qu'il vole ?

Un cadre pointilliste

Les cadres traditionnels en bois doré ne conviennent plus à la peinture moderne. Georges Seurat conçoit donc un nouveau cadre qui prolonge harmonieusement le tableau et qui apparaît déjà sur l'esquisse préparatoire image 2 : il peint directement sur la toile une bordure pointilliste bleu outremer et vert émeraude, et traite de la même façon le cadre en bois du tableau image f.

Après la mort prématurée de Georges Seurat, Paul Signac reprend le flambeau du néo-impressionnisme, qui se développe dans toute l'Europe. Il achète le tableau en 1900 et le cède à un collectionneur américain, à condition que celui-ci le lègue au musée du Louvre. L'œuvre entrera par la suite dans les collections du musée d'Orsay. C'est donc grâce à Paul Signac que Le Cirque est aujourd'hui le seul grand tableau de Georges Seurat conservé en France.

Françoise Besson

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-cirque

Publié le 18/01/2019

Glossaire

Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.

Chevreul Michel-Eugène : Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) est un scientifique français, dont les écrits sur les couleurs et sur leur perception, comme la loi du contraste simultané des couleurs, influencent les peintres impressionnistes et postimpressionnistes, Georges Seurat tout particulièrement.

Touche : La touche désigne la matière picturale appliquée d’un seul coup de pinceau sur le support. Le terme peut également désigner plus largement la manière dont le peintre travaille.