Papa gymnastique Dubuffet Jean
Papa gymnastique
Réalisé pour "Coucou bazar"
Auteur
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Provenance
Technique
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Datation
Lieu de conservation
Pourquoi cette sculpture s’affirme-t-elle comme une œuvre d’art total ?
Cette curieuse sculpture image principale de 2,27 m de hauteur et de 1,07 m de large, montée sur roulettes, qui mêle dessin et couleurs aux formes, reflète l’imagination excentrique de son auteur, Jean Dubuffet. Intitulée Papa gymnastique, elle était destinée à danser sur une scène de spectacle, une fonction plutôt rare pour ce type d’œuvre.
Un parcours original
En 1916, Jean Dubuffet n’a que 15 ans lorsqu’il entre à l’Académie Julian, célèbre école d’art parisienne par laquelle sont passés Marcel Duchamp, Henri Matisse ou encore Édouard Vuillard. Pourtant, à peine six mois plus tard, il quitte l’établissement en déclarant vouloir peindre seul, ce qui ne l’empêche pas de fréquenter un temps les ateliers du peintre surréaliste André Masson. En 1924, il décide subitement de ranger les pinceaux et de s’investir dans l’entreprise familiale, un négoce de vin dans la ville du Havre. L’aventure artistique de Dubuffet aurait pu s’arrêter là. Mais sa rencontre avec Lili Carlu, modèle de Brassaï et de Man Ray, ranime la flamme. Celle qu’il épouse en 1937 lui fait découvrir les arts populaires, en particulier le théâtre et les marionnettes. C’est une révélation. Dubuffet s’engage alors à « désapprendre » ce qu’on lui a appris de l’art, convaincu que la création véritable, loin de l’élitisme et du formalisme académique, doit être à la portée de tous.
Naissance de l’art brut
En 1945, alors qu’il est en quête d’artistes autodidactes et marginaux, des conservateurs et des médecins lui présentent des œuvres réalisées par des malades mentaux. De simples figurines en mie de pain. Des dessins maladroitement tracés sur du papier hygiénique. Dubuffet est fasciné. Il rassemble ces représentations sous la dénomination d’« art brut », un art accessible à tous. Cette certitude commence à irriguer son travail, comme le montrent les Musiciens au désert, qu’il réalise en 1947. Usant d’un tracé souple et continu, il superpose les courbes, imbrique les personnages et les fond dans leur environnement, donnant l’impression d’une œuvre tracée d’un seul geste.
L’hourloupe, un art de fou ?
Ce geste unique, cette unité du trait, ce désir d’un art brut donnent naissance à la création la plus célèbre de Dubuffet, celle-là même qui compose son Papa gymnastique image principale : l’hourloupe. Ce procédé créatif évoque celui de l’écriture automatique des surréalistes. L’artiste trace des lignes au hasard, puis réalise des hachures de couleur et des aplats au stylo bille pour combler certains vides entre les lignes. Ces dessins spontanés libèrent le mental et rappellent les productions artistiques des malades mentaux qui l’ont fasciné. L’hourloupe devient l’un des piliers de l’œuvre de Dubuffet. Il explique : « Je veux dire que non seulement les mécanismes qui fonctionnent chez le fou existent aussi chez l’homme sain (ou prétendu tel) mais ils en sont dans bien des cas le prolongement et l’épanouissement. […] En définitive, je crois qu’on a tort de tenir en Occident la folie pour une valeur négative ; je crois que la folie est une valeur positive, très féconde, très utile, très précieuse. Son apport ne m’apparaît pas du tout malsain pour le génie de notre race mais au contraire vivifiant et souhaitable et mon impression n’est pas que la folie règne en excès dans nos mondes, mais qu’au contraire elle y fait trop défaut. » (Honneur aux sauvages). Dès 1962, il utilise le procédé de l’hourloupe pour illustrer un curieux livre pensé comme un dictionnaire. Sur les pages, il dessine des formes informes évoquant des animaux ou des objets, affublés de noms étranges jouant sur les sonorités : « canare », « caftiaire », « vachalite ». Le terme hourloupe procède d’ailleurs du même amusement, combinant « hurler », « hululer », « loup », « Riquet à la Houpe » et « Le Horla » de Maupassant ; un choix qui n’a rien d’anodin si l’on se souvient que ce roman traite des troubles psychologiques.
Papa gymnastique, un bonhomme animé
Composé de dessins, sculptures, architectures le cycle de l’hourloupe occupe Dubuffet durant des années. Et un jour, ses œuvres s’animent, à la manière de Pinocchio qui prend vie. Ce sont les Bonshommes, une série de 20 gigantesques costumes destinés à couvrir des danseurs de la tête aux pieds, et 175 sculptures mobiles appelées Praticables. Parmi ces dernières, Papa gymnastique. Fixant le langage de l’hourloupe sur des panneaux de résine stratifiée, Dubuffet s’attache à nier le relief et accentuer la frontalité de chacun de ses personnages, qu’il décrit lui-même comme des « tableaux animés ». Il monte les Praticables sur roulettes ou les attache à des câbles mécaniques, rendant ainsi possible leur déplacement sur une scène. Dubuffet fait appel à des danseurs américains et va jusqu’à concevoir leur chorégraphie. En 1973, le musée Guggenheim de New York accueille la première représentation d’un spectacle qui deviendra célèbre, Coucou Bazar. Durant une heure, au rythme d’une musique pour le moins expérimentale, les danseurs costumés, semblables à de gigantesques marionnettes, bougent au ralenti parmi des Praticables. Pas de texte, pas d’intrigue, juste un décor mouvant, une œuvre d’art totale, inclassable, à mi-chemin entre peinture, sculpture, théâtre et ballet. Dubuffet défend son œuvre ainsi : « Sans doute fera-t-on reproche à mon spectacle de se situer hors catégories […]. Il est comme un tableau qui cesserait seulement d’être une image à regarder mais qui prendrait réelle existence . » La même année, Coucou Bazar se joue à Paris, sous la nef du Grand Palais, tandis que le Centre d’art moderne de la capitale consacre une exposition à l’artiste. C’est la gloire. La déception également. Dubuffet, qui n’a pu assister à la première représentation new-yorkaise, découvre le spectacle et en ressort effondré, persuadé que les danseurs et la mise en scène ne suivent pas ses consignes et dénaturent son travail. Mais il n’est pas résolu à se laisser déposséder de son œuvre. Il engage un nouveau metteur en scène, Gualtiero Rizzi, et une nouvelle chorégraphe, Anna Sagna, compose lui-même la musique et, en 1978, fait jouer à Turin une version de Coucou Bazar plus conforme à ses souhaits. Papa gymnastique vient de monter sur scène pour la troisième et dernière fois. Dubuffet meurt en 1985, et Coucou Bazar entre dans les livres d’histoire. Jusqu’à ce qu’en 2013, le musée des Arts décoratifs de Paris décide d’honorer les 40 ans de l’œuvre en en donnant une nouvelle représentation. C’est là qu’en 1960, fut organisée la première rétrospective française consacrée aux créations de Dubuffet. Et ce dernier s’était pris d’affection pour ce musée qu’il surnommait « le clergé culturel de l’État » et auquel il avait fait don en 1967 d’un ensemble d’œuvres, jugeant légitime « de remettre ses ouvrages entre les mains de ceux qui leur portent estime ».
Quant à Papa gymnastique, il sommeille aujourd’hui dans les collections du Centre Pompidou, à Paris, attendant de pouvoir un jour remonter sur la scène.
Jean Dubuffet, Coucou Bazar, une vidéo du musée des Arts Décoratifs
Magali Passoni-Cartier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/papa-gymnastique
Publié le 14/12/2022
Ressources
"Coucou Bazar" sur le site de la Fondation Jean Dubuffet
Le site internet de la Fondation Jean Dubuffet
La notice de l’œuvre sur le site du Centre Pompidou
Glossaire
Hourloupe : Nouveau langage graphique créé par Jean Dubuffet. Aplats de rouge et de bleu posés en rayures dans des formes qui s’emboitent comme dans un puzzle.
Automatisme : Procédé artistique pratiqué par les surréalistes, aussi bien en littérature qu’en peinture, consistant à laisser la main écrire ou dessiner sans réflexion préalable.
Surréalisme : Courant artistique très lié à la littérature, qui se développe à partir des années 1920. En 1924, André Breton définit le surréalisme comme un « automatisme pur », une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison ».