Gelée blanche Pissarro Camille
Gelée blanche
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Un paysage d’hiver en couleur ?
En 1873, lorsque Camille Pissarro entreprend la peinture de ce paysage de plein air image principale , il est âgé de 43 ans. Né en 1830 aux Antilles danoises (aujourd'hui les îles Vierges, États-Unis), il quitte définitivement sa famille à l'âge de 25 ans pour étudier la peinture à Paris. C'est à l'Académie fondée par Charles Suisse que cet admirateur de Camille Corot et Gustave Courbet rencontre Paul Cézanne et Claude Monet. Il s'installe à Pontoise en 1872 et, deux ans plus tard, participe à la première exposition impressionniste, où il expose ce tableau.
Un paysage hivernal
Pour représenter l'ancienne route d'Ennery un jour d'hiver, Pissarro travaille en plein air, dos au soleil.
Sous un ciel pâle, un homme, vu de dos, appuyé sur un bâton et courbé sous le poids des fagots qu'il porte, gravit une colline image b. Des arbres dénudés et deux meules de foin ponctuent la ligne d'horizon, placée très haut.
Le soleil matinal éclaire l'ensemble d'une belle lumière rasante. Aux lignes des sillons de terre se dégelant lentement, répondent les ombres portées d'une rangée d'arbres invisible située derrière le peintre image c, qui s'étirent et guident le regard vers le ciel. Par ce procédé, Pissarro nous laisse entrevoir des éléments hors champ, ouvrant ainsi avec audace la perspective du tableau.
La toile est composée d'une série de petites touches de couleur compactes et irrégulières, presque illisibles. Ce sont les recherches expérimentales du peintre pour transposer la lumière sur la toile. Ici, tout est couleur l'artiste n'utilise aucun noir, mais choisit une gamme nuancée d'ocres, de bleus, de gris clairs, de mauves, de verts pour suggérer les quelques traces de gelée encore présentes dans ce paysage image d.
Une absence de pittoresque
C'est auprès de Corot que Pissarro découvre le travail en plein air. Depuis, le peintre aime être au plus près du motif qu'il représente. La figure du paysan n'est pas l'élément le plus important de la toile : celle-ci ne raconte effectivement rien, valorisant ainsi sa facture et faisant des jeux d'ombres et de lumière le sujet principal du tableau. D'une recherche de vérité finalement ordinaire, l'artiste sait en faire émerger une puissante perception plastique. Loin de tout sentimentalisme, il dissout sa vision terrienne dans un chatoiement de couleurs.
La première exposition impressionniste
Figure emblématique du mouvement impressionniste, Pissarro est le seul peintre à avoir participé à l'ensemble des expositions du groupe. Ce paysage est l'une des cinq toiles qu'il présente dès la première manifestation, organisée en 1874 dans l'ancien atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines.
Avant d'être désignés sous le terme d'« impressionnistes », les peintres de ce mouvement sont appelés les « pleinairistes ». Ces derniers revendiquent la peinture sur le motif en extérieur, afin de traduire instantanément la lumière en couleurs.
Gelée blanche donne lieu à une critique virulente de la part de Louis Leroy dans le journal satirique Le Charivari : « Ça des sillons, ça de la gelée ?… Mais ce sont des grattures de palette posées uniformément sur une toile salle (sic). Ça n'a ni queue ni tête, ni haut ni bas, ni devant ni derrière. » Si cette toile scandalise certains, si elle est un grand malentendu pour l'opinion publique, Pissarro s'intéresse effectivement moins au sujet qu'à la manière de le représenter.
Lors de cette première exposition, cette toile est présentée à côté de Répétition d'un ballet sur la scène image 1 d'Edgar Degas. En dépit de leurs sujets bien différents, les deux œuvres présentent des similitudes dans l'approche du cadrage.
Un patriarche
Le travail de Pissarro attire de jeunes artistes, notamment Paul Cézanne image 2, qui peint auprès de lui et bénéficie de ses conseils. Ce dernier déclarera : « Ce fut un père pour moi. C'était un homme à consulter et quelque chose comme le bon Dieu. »
À partir de 1879, et durant quatre années, Pissarro initie également Paul Gauguin image 3 à la peinture sur le motif dans les environs de Pontoise, et l'encourage à s'intéresser au travail de Cézanne. La combinaison des deux leçons se révélera déterminante pour la suite de la carrière du jeune artiste, qui en fait la synthèse.
Henri de Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh témoignent eux aussi de leur admiration pour celui qui devient le « patriarche » des impressionnistes.
À partir de 1885, sous l'influence de Georges Seurat, Pissarro se tourne un temps vers le néo-impressionnisme.
Son œuvre conserve dans son ensemble un caractère terrien, l'artiste traitant le plus souvent de sujets ruraux et humbles image 4. Déjà, en 1868, Émile Zola déclarait : « […] il n'est ni poète ni philosophe, mais simplement naturaliste, faiseur de cieux et de terrains. Rêvez si vous voulez, voilà ce qu'il a vu. […] Un beau tableau de cet artiste est un acte d'honnête homme. Je ne saurais mieux définir son talent. »
Gelée blanche ayant déconcerté la critique, c'est le baryton Jean-Baptiste Faure, ami de Pissarro, qui achète la toile à ce dernier dès 1874. Elle ne sera plus exposée du vivant du peintre, mais montrée lors de la rétrospective qui se tient après sa mort chez le marchand Paul Durand-Ruel en 1904. Entré dans les collections nationales en 1972, le tableau est aujourd'hui conservé au musée d'Orsay.
Mots-clés
Véronique Duprat-Roumier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/gelee-blanche
Publié le 23/04/2021
Ressources
La page consacrée au musée Camille-Pissarro à Pontoise sur le site de la commune
https://www.ville-pontoise.fr/equipement/musee-camille-pissarro
Le commentaire de l’œuvre sur le site du musée d’Orsay
Une vidéo du musée d’Orsay consacrée à l’œuvre
Glossaire
Peindre sur le motif : Expression qui signifie peindre en ayant sous les yeux ce que l’on souhaite représenter.
Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.
Néo-impressionnisme : Mouvement pictural novateur créé par Georges Seurat (1859-1891) qui s’inspire de la théorie scientifique des couleurs. Dans une recherche fondée sur la lumière, les tons sont alors obtenus par petites touches (ou points) de pigments purs juxtaposés sur la toile.